Sophie de Villeneuve : On a beaucoup parlé du calendrier maya, qui « prévoyait » la fin des temps pour décembre 2012. Jésus lui-même parlait de la fin des temps et de l'avènement d'un autre monde. Peut-on prendre ses paroles au sérieux ?

Sylvain Gasser : Eh bien oui, parce que les images sidérantes de la fin du monde dans une catastrophe disent d'abord la détresse de notre temps présent. En disant cela, j'ai tout à fait conscience que les prédictions annoncées par les uns ou les autres sont abracadabrantes. Dans l'épisode de Tintin intitulé L'étoile mystérieuse, j'avais été effrayé par ce savant qui proclamait la fin du monde, tandis qu'une comète énorme fonçait vers la terre... De ce scénario-catastrophe, les films hollywoodiens ont fait leur miel !

Mais ce n'est pas ce qu'a voulu dire Jésus ?

S. G. : Non, car ces apocalypses modernes se font souvent sans Dieu. Dans les Écritures, avant même les paroles de Jésus, il y a de nombreux textes apocalyptiques qui racontent la fin des temps, avec des images effrayantes, et Jésus reprend pour une part ces images-là. Mais ce n'est pas pour nous faire peur.

Ce n'est pas pour nous faire peur, pour nous dire de nous convertir ?

S. G. : Si, mais c'est pour nous réveiller. On ne se convertit pas par la peur, on se réveille. La fin du monde doit activer notre espérance, les images de catastrophe sont là pour nous obliger à voir clair, autrement, et plus loin. Nous apprenons par ces images à espérer par-delà la crainte, la crainte qui nous maintient éveillés et nous permet d'espérer dans le danger.

Pourtant Jésus, dans ses descriptions de l'avenir, dit que nous serons jugés, les bons avec les bons, les mauvais avec les mauvais... C'est tout de même effrayant !

S. G. : Il y a d'une part la fin de monde et son cortège de catastrophes, et d'autre part le jugement. Ce sont deux choses différentes. Le jugement nous est annoncé non pas pour que nous nous mettions à trembler, car cette peur-là ne fait pas avancer, mais pour que nous nous disions qu'il est temps que nous changions, que nous « convertissions » nos vies. Les paraboles sur le jugement, celle des vierges folles et des vierges sages, la parabole des talents et celle du jugement dernier nous disent : Maintenant, il faut choisir. Quel est votre camp ? Allez-vous vous engager à suivre le Christ pour le bien, pour changer ce monde ? Il n'est plus temps de tergiverser, il y a urgence. Ces images de catastrophes sont des images d'urgence : Qu'attends-tu ? Réveille-toi, relève-toi, décide-toi.

Tout cela n'a plus rien à voir avec le calendrier maya !

S. G. : Non, pour moi ce sont là des images farfelues, qui ne me font pas peur.

Pourtant, après la mort de Jésus, beaucoup de ses disciples ont cru que les temps derniers étaient tout proches, beaucoup attendaient la fin du monde.

S. G. : Oui, saint Paul lui-même le dit dans ses épîtres : la fin des temps approche, ne vous engagez plus, ne vous mariez plus, libérez-vous de tout. Mais peu à peu il va cheminer et prendre conscience que le jour dernier n'est pas pour tout de suite, et qu'il faut revenir au temps présent : que faites-vous de notre vie ? Mariez-vous, vivez votre vie de famille, vivez les responsabilités qui sont les vôtres, et vivez-les à la lumière de l'Évangile. C'est là la conversion qui nous est demandée, jour après jour, jusqu'à la fin des temps. Nous n'avons pas à craindre la fin, elle viendra un jour ou l'autre. Les scientifiques nous disent que dans 4 milliards d'années, la terre n'existera plus. Cela ne change pas le cours du monde : les guerres continuent, le mal existe toujours. Il faut revenir au temps présent et voir que les signes avant-coureurs d'une apocalypse, au sens d'une fin du monde terrifiante : les questions écologiques, les guerres, les famines..., nous amènent à dire : Changeons ce monde ! Le scénario-catastrophe, je le vois tous les jours en ouvrant le journal !

A partir de quand les premiers chrétiens se sont-ils dit que Jésus n'allait pas revenir tout de suite, et que la fin du monde était loin ?

S. G. : Très tôt je crois, dès la première génération. Les chrétiens ont pris conscience de leur rôle dans la société des hommes, et ont compris qu'il fallait changer ce monde de l'intérieur et qu'ils avaient à être des apôtres de paix. Une épître à Diognète, très tôt, dit que c'est à cela qu'on reconnaît les chrétiens. Ce n'est pas parce qu'ils allaient à la messe le dimanche, mais parce que, où qu'ils soient, ils tentaient de vivre à la suite de Jésus.

Dans la vie chrétienne, il nous faut donc vivre comme si tout allait s'arrêter demain ?

S. G. : Oui, c'est une question de sagesse. Les stoïciens disaient : Vivons le temps présent, comme si tout ce que nous avons à vivre était la dernière chose que nous ayons à vivre. C'est un art de vivre : vivons pleinement le temps qui nous est donné, au lieu de tout remettre à demain, au risque de le regretter.

C'est chrétien, de dire qu'il faut vivre le temps présent ?

S. G. : Bien sûr. Le Christ nous ramène toujours au présent. Il ne nous invite pas à idéaliser le passé ni à nous disperser dans le futur.

Il nous dit tout de même de veiller ?

S. G. : Mais la veille, c'est la qualité du temps présent. C'est aujourd'hui que je suis appelé à veiller, non dans le passé ni dans l'avenir. Veiller, ce n'est pas se tourner les pouces, c'est être dans l'attente, attentif. Le temps de l'Avent est un temps d'attente, de veille, important dans la vie liturgique. Ces moments nous obligent à aiguiser notre regard, notre perception du monde. Le monde a besoin de veilleurs.

Les paroles terrifiantes de Jésus sur la fin des temps nous appellent en fait à être pleinement dans le présent ?

S. G. : Mais les choses terrifiantes dont il parle, c'est ce qui se passe tous les jours dans le monde ! Les guerres, les camps, comment en sort-on ? On n'a pas fini de travailler à cela. Les apocalypses existent aujourd'hui, avec leur cortège de terreurs. Mais la fin du monde dont parle la Bible, même terrifiante, c'est la fin de la terreur. Nous ne sommes pas condamnés à vivre dans une terreur sans fin. Nous devons nous secouer et tout faire pour que ce monde change.

Ces images d'apocalypse ne sont pas là pour nous terrifier, mais pour nous réveiller ?

S. G. : Absolument. L'Évangile veut le réveil, alors que le monde veut le sommeil. L'Évangile doit nous réveiller, mais parfois la sonnerie du réveil doit se faire plus stridente.

C'est dur parfois de se réveiller !

S. G. : Bien sûr, c'est tellement plus confortable de rester dans son lit ! Dans le lit de ses certitudes en tout cas.