Sophie de Villeneuve : Les Évangiles, ces textes du Nouveau Testament qui datent du premier siècle, nous parlent de la vie de Jésus, de sa naissance à sa résurrection. On sait qu'il y a quatre auteurs, et qu'ils ne disent pas tous la même chose. La question se pose alors : les Évangiles sont-ils dignes de foi ? Et d'abord, sommes-nous bien sûrs qu'ils datent tous du premier siècle de notre ère ?

A. S. : Le dernier livre du Nouveau Testament, l'Apocalypse, est en effet traditionnellement daté de la persécution de Dioclétien, dans les années 90. Ces livres ont été écrits entre 60 (l’Évangile de Marc) et 90 (les livres de saint Jean). On se pose la question du « trou » de la première génération de chrétiens, qui a vécu entre la mort du Christ et l'écriture d'un premier récit. Pendant ces trente ans, nous ne savons pas ce qu'ils ont vécu. Une sorte d'intériorisation de la Parole ? Une circulation orale de certains récits, ceux de la Passion notamment ? Le besoin d'écrire a dû se faire sentir, je pense, quand la première génération, qui avait reçu ces récits oralement, a été sur le point de s'éteindre.

Peut-on penser aussi que cette première génération a eu besoin de temps pour comprendre ce qui s'était passé ?

A. S. : Bien sûr, et c'est essentiel. Nous ne recevons pas de récits signés de Jésus. Ils sont signés des évangélistes. Ce qui signifie que nous accordons notre foi à l'expérience de foi de ces hommes. C'est un saut de confiance important à faire ! Pour moi, c'est un trait constitutif du christianisme. Le Livre n'est pas écrit de toute éternité et pour la fin des temps, c'est un livre écrit par des hommes, ce qui induit la multiplicité des récits et parfois leurs discordances.

En effet, ils ne racontent pas tous les mêmes choses ni de la même façon. Est-ce que cela jette le discrédit sur ces textes ?

A. S. : A mon sens, pas du tout. Ces paroles ont transité par la foi de chacun des évangélistes, qui ont certainement eu connaissance de récits différents et qui ont assimilé le message de Jésus de manière particulière à chaque fois. J'y vois pour ma part un signe de leur foi. Mais, parce que nous sommes des modernes, nous nous posons tous cette question : disent-ils la vérité ? La vérité historique telle que nous la concevons aujourd'hui est-elle honorée dans ces récits ? Les Évangiles sont des textes anciens, qui ont une conception de la vérité différente de la nôtre. Le monde antique n'est pas attaché à l'historicité pointilleuse de ce qui s'est passé. Bien sûr, cela nous dérange, mais je crois qu'il faut accepter que les récits antiques visent d'abord à édifier les hommes, c'est-à-dire à les construire, à les mettre debout. Ils leur donnent leur stature spirituelle, ils les aident à se construire et à grandir. Ce sont des récits pour la foi.

Peut-on penser tout de même que Jésus a vraiment prononcé les paroles rapportées dans les Évangiles ?

A. S. : Pas toujours. Et pour moi c'est une source non pas de discrédit, mais d'admiration. Voici un exemple troublant, que j'ai découvert en lisant La Communauté du disciple bien-aimé, de Raymond Brown. Ce grand bibliste y montre que le récit de la Samaritaine a peut-être été écrit, plus de cinquante ans après la prédication de Jésus, parce que la Samarie était en voie d'être convertie, et qu'il fallait un récit pour soutenir la foi de cette jeune communauté. Le portrait de la Samaritaine et le portrait de Jésus sont des portraits reconstruits au creux de la foi de Jean. Et d'autres récits de Jean sont élaborés de la même manière. Vous imaginez le détour que nous devons accepter de faire ? Je trouve cela prodigieux. Ce récit est d'une telle beauté, d'une telle limpidité, les dialogues sont légers, emportés, magnifiques... Cela, c'est le fruit de l'inspiration.

Mais est-ce que c'est la vérité ?

A. S. : C'est la vérité aux yeux de Dieu ! C'est la vérité telle que les évangélistes l'ont vécue. C'est une vérité qui est peut-être d'un ordre non factuel, mais à mon avis beaucoup plus profonde, vu l'importance de la dimension spirituelle de l'être humain. Cela dit, d'autres paroles, d'autres récits sont factuels. On a du mal à faire la part des choses.

Mais tous ne racontent pas la même chose ?

A. S. : Non. Prenons l'exemple de Passion. Jean situe la mort de Jésus la veille de la Pâque, tandis que les trois synoptiques la situent au moment de la Pâque. Il y a des différences qui répondent à des projets théologiques différents. Chaque évangéliste a son projet. Jean veut montrer que Jésus est mis en procès et qu'il va triompher, que la Passion n'est pas un événement triste mais que c'est une heure de gloire, et que c'est pour cela que Jésus est venu. Jésus vit sa Passion comme une heure de dévoilement de ce qui doit être dévoilé. Pour Marc, la Passion est quelque chose que les hommes ne peuvent pas comprendre. Dans son chapitre 16, il renvoie sans cesse le lecteur à sa propre expérience de la Bonne Nouvelle. Matthieu parle à une communauté juive, Luc à une communauté grecque. Les évangélistes ont des divergences d'auditeurs et de projets.

Quels conseils donneriez-vous à ceux qui ne connaissent pas bien ces textes et doutent parfois de leur véracité ? Comment les encourager à y croire ?

A. S. : Le bibliste jésuite Paul Beauchamp expliquait que la Bible et les Évangiles sont écrits par des hommes, mais par des hommes inspirés. C'est la présence au creux de ces évangélistes de quelque chose de divin, qui leur permet d'exprimer le projet de Dieu. Je crois qu'il faut entrer dans ces Évangiles en ayant conscience de notre valeur spirituelle. Se préparer spirituellement à lire les Évangiles me paraît plus important qu'une technique savante, exégétique... Nous valons ces récits. Nous sommes des êtres à la spiritualité suffisamment riche et nous sommes assez capables de Dieu pour comprendre les Évangiles.

Donc ces récits sont dignes de foi ?

A. S. : Bien sûr. Notre foi peut s'exposer à cette parole.

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