La parabole est un récit énigmatique surprenant, qui fascine les croyants et les poètes de tous les temps. Chaque religion en possède un certain nombre ; les paraboles rabbiniques et celles des évangiles sont les plus connues. On retrouve principalement ces petites histoires imagées sur les lèvres des sages et des maîtres, lors d'un enseignement, ou plus sûrement encore lors d'une explication réponse à la question difficile d'un disciple ou d'un interlocuteur, qui demande conseil ou qui lance une controverse. Dans un premier temps, la parabole répond effectivement à une question; dans un second temps, elle renvoie celui qui interroge à lui même. Autre qu'un simple discours, la parabole est un "liant" dans un dialogue entre deux parties ; une sorte d'espace qui accueille une question pour la renvoyer, modifiée, à celui qui la pose.

Nous avons tous fait l'expérience - et si cette expérience n'est pas quotidienne, elle est du moins fréquente - de chercher les chemins d'expression de réalités profondes ou parfois de l'ordre de l'indicible. Les expériences radicales, les réalités difficiles à cerner dans ce qui demeure l'approximation des mots, appellent, pour être dites, un langage toujours difficile à trouver. Le langage humain, en ces moments-là, se cherche, part en quelques sorte à la tangente, essaie d'aller trouver des formes d'analogie, de comparaison, un troisième terme susceptible d'éclairer, par le langage et malgré les limites qu'il porte, cette part d'indicible perçue, expérimentée, mais si difficile à communiquer. Certains utiliseront éventuellement un proverbe ou un dicton, simple mais bien frappé, pour ouvrir le chemin de l'imagination. Plus souvent peut-être, on recherchera une comparaison : "c'est... comme" ou "ce serait... comme", et l'on tente une comparaison, on hasarde les mots et les images, pour tenter d'établir les voies de cette compréhension par l'autre, d'une communication. On a parfois l'audace, volontaire ou non, du recours à la métaphore, cette forme de langage qui conjugue de façon insolite et forte deux mots ou deux groupes de mots a priori incompatibles, dont la tension crée un espace de sens, qui superposent en quelque sorte deux réalités pour mieux ouvrir la voie d'une évocation, d'une compréhension.

Le langage commun l'affirme : on prend "un exemple" ou on utilise "une image" pour se faire comprendre. La force de l'image - c'est-à-dire aussi le besoin pour l'auditeur, comme pour celui qui parle, d'"imaginer"! - sont de tous les temps. Ce besoin est congénital à l'homme. Le mot "parole" ne dérive-t-il pas, précisément, du mot "parabole" ? Comme si toute parole recherchait en fait la ressemblance, l'adéquation toujours pour une part approximative à son objet : clair-obscur, opacité et lumière du langage humain. Le langage courant est volontiers imagé, mais nous savons bien aussi que d'autres cultures que la nôtre utilisent spontanément beaucoup plus encore le langage imagé pour parler. Parfois, on en sourit, comme si l'on était soi-même ailleurs. Mais l'on perçoit aussi que l'image entraîne au loin, et finalement on n'oserait rompre ce fil de communication peut-être infinie, qu'elle inaugure. Car l'image aussi donne à penser.

En rappelant ici ces expériences communes liées au langage et à sa place essentielle dans la communication, j'ai en fait tracé à grands traits les contours de l'univers de la parabole. En hébreu, le terme correspondant à ce que nous appelons "parabole" est le mashal. Mais l'étymologie de ce mot n'est pas absolument claire. Il peut signifier "semblable "ou "moitié", ou "être comme..." et renvoie alors à la similitude, à la comparaison. Le mot grec parabolè a retenu essentiellement ce sens. Le mot mashal peut signifier aussi l'autorité, une forme de domination, et par là même le jugement porté par un homme revêtu d'autorité. La pensée populaire a rassemblé les deux sens en appelant mashal tout enseignement fondé sur une comparaison.

Le peuple d'Israël recueille les comparaisons dans sa vie quotidienne, faite de champs, de labours et de semailles, d'oliveraies, de vignes et de vendanges, de voyages... et au milieu de ces réalités, comme un rêve immense et comme une réalité qui le fonde, le roi. Israël parlera volontiers en mashal, en paraboles, à partir de ces réalités quotidiennes. Ce sont elles qui lui donnent les points de comparaison pour penser - comme on s'élance d'un tremplin - la présence de Dieu dans son histoire. La pensée hébraïque est concrète. La théologie forgée au fil des pages de la Bible est également concrète. Elle n'est pas spéculative autant que la pensée grecque nous a appris à l'être, elle est plus spontanément narrative. Elle raconte des histoires, elle raconte une histoire et l'on comprend Dieu, on comprend que cette histoire est habitée par la présence de Dieu.

Je voudrais ici interroger la Bible toute entière - Ancien et Nouveau Testaments -, pour mieux entendre les paraboles de Jésus et peut-être les redécouvrir. Mais nous ne pouvons pas oublier que la parabole est une forme de pensée et de langage propre, probablement, à tous les hommes et de la même façon à l'ensemble des religions. J'aimerais, non sans quelque sourire ou quelque humour peut-être, évoquer en commençant quelques unes de ces paraboles venues d'ailleurs.

J'évoquerai d'abord cette apologue bouddhiste : "Deux moines zen s'apprêtaient à traverser une rivière à gué. Une belle jeune femme les rejoignit. Elle aussi devait passer sur l'autre rive, mais la violence du courant l'effrayait. Un des moines la chargea sur ses épaules et la déposa de l'autre côté. Son compagnon n'avait pas desserré les dents. Il fulminait : un moine bouddhiste n'était pas autorisé à toucher une femme, et voici que celui là en portait une sur ses épaules ! Des heures plus tard, en arrivant en vue du monastère, le moine puritain annonça : "Je vais informer le maître de ce qui s'est passé. Ce que tu as fait est interdit." Le moine secourable s'étonna : "De quoi parles tu ? Qu'est ce qui est interdit ?" - "As tu oublié ce que tu as fait ? S'indigna l'autre ! Tu as porté une belle jeune femme sur tes épaules !" - "Ah oui, bien sûr, se souvint le premier en riant. Il y a belle lurette que je l'ai laissée au bord de la rivière. Mais toi, la portes tu toujours ?".

Le propre de la fable ou de l'apologue, comme de la parabole, est qu'elle nécessite peu d'explication, mais donne à penser : la parabole parle d'elle-même. Nous aurons à revenir sur la ressource de langage qui lui donne cette force : une part de similitude avec la réalité, la nôtre peut-être, celle de tout homme. Mais en outre, fables, apologues et paraboles sont des récits. Les études sur la narrativité nous ont montré ou laissé entrevoir - car l'étude n'est jamais close - la force inhérente au récit. Il place l'auditeur en situation de spectateur, mais peut-être aussi d'acteur, le laissant libre, dans son écoute, de choisir sa propre place au sein du récit, et éventuellement d'en changer sans préavis et en liberté, quand la place est devenue inconfortable ou une autre plus enviable. Mais ce passage d'un lieu d'écoute ou d'observation à l'autre n'est pas neutre. On ne le fait probablement jamais impunément. Ressort-on jamais pleinement indemne de notre écoute d'un récit et du voyage auquel il convie ?

Je rapporterai volontiers une autre parabole, tirée de la pensée soufie (le soufisme représente, dans l'Islam, la voie du mysticisme). Elle est différente de la précédente. Elle ne vise plus un comportement, mais les chemins de la connaissance de Dieu, dont le soufi qui raconte cette parabole souligne qu'elle est intérieure : "Un soir Rabya examinait le sol devant sa cabane. -" Que cherches tu Rabya ? demandèrent les voisins."- "J'ai perdu mon aiguille, répondit la vieille femme. Les voisins se mirent à chercher avec elle." Quelqu'un dit : " Rabya, il va faire nuit, nous n'aurons pas le temps de ratisser toute la rue. Essaye de te souvenir où tu as laissé tomber cette aiguille."- "Je l'ai perdue chez moi dans ma maison ! "- " Mais alors, s'étonnèrent les voisins, pourquoi la chercher dans la rue ?" - "Parce qu'ici il y a de la lumière, expliqua Rabya, tandis que chez moi il fait noir." - " Voyons, Rabya, protesta quelqu'un, même avec de la lumière tu ne trouveras pas une aiguille qui n'est pas là ! Rentre plutôt chez toi et allume ta lampe ! Rabya se mit à rire : - "Vous êtes bien malins quand il s'agit de choses banales ! Quand donc utiliserez vous votre intelligence pour vivre en profondeur ? Je vous vois tous chercher au dehors ce que vous avez perdu au dedans. Croyez vous pouvoir trouver Dieu dans le monde extérieur ? L'avez vous donc perdu quelque part hors de vous mêmes ? "Rabya planta là ses voisins penauds et rentra chez elle".

Ici encore, la parabole se passe de commentaire. Elle ne cesse de donner à penser, mais elle est limpide , comme cette fable d'Ésope, "Le lion, l'âne et le renard", que nous rapportons en raison de sa simplicité et de son ancienneté : "Le lion, l'âne et le renard, ayant lié société ensemble, partirent pour la chasse. Quand ils eurent pris du gibier en abondance, le lion enjoignit à l'âne de le partager entre eux. L'âne fit trois parts égales et dit au lion de choisir. Le lion indigné bondit sur lui et le dévora. Puis il enjoignit au renard de faire le partage. Celui-ci entassa tout sur un seul lot, ne se réservant que quelques bribes ; après quoi il pria le lion de choisir. Celui-ci lui demanda qui lui avait appris à partager ainsi : "le malheur de l'âne", répliqua-t-il. Cette fable montre qu'on s'instruit en voyant le malheur de son prochain'.

Dès ses tout premiers mots, la Bible est récit. Elle raconte l'histoire de la terre et du monde. Elle raconte le surgissement du péché dans le monde. Elle raconte les aléas d'un peuple "à la nuque raide" travaillé comme une argile parfois difficile par l'Alliance de Dieu. Le récit émarge à plusieurs genres littéraires, dont certains sont à nos yeux plus lumineux que d'autres, qui nous semblent plus austères ou difficiles. Et le récit ouvre aussi, souvent, au discours, à la parole adressée au peuple, parfois rudement, frontalement, en particulier chez les prophètes. Cette parole dialogale requiert plus d'attention de notre part, car elle porte, plus encore que le récit, les traces de son inscription dans une histoire, qui souvent nous échappe.

Ce qui surprend le lecteur de la Bible, et qui réjouit souvent le poète, est que le langage biblique recourt très spontanément au langage du mashal, de la "similitude". Il revêt plusieurs formes, qu'il est bon d'identifier au passage. Ce peut être le dicton ou l'adage, ces formules brèves, elliptiques même, qui d'une image ou d'une expression frappante, énoncent une vérité d'expérience, une observation de sagesse. La morale des fables de La Fontaine et quelques autres nous en livreraient si nous venions à en manquer : "rien ne sert de courir, il faut partir à point", "tel qui rit vendredi, dimanche pleurera". Le dicton est anonyme, il est populaire. Il livre une sagesse. A ce titre, et même dans la Bible, il ne fait pas ou très rarement référence à Dieu : "les pères ont mangé des raisins verts, et les dents des enfants en ont été agacées "(Ezéchiel 18, 2) ; "deux hommes vont-ils ensemble sans s'être concertés ? Le lion rugit-il dans la forêt sans avoir une proie ? Le passereau tombe-t-il dans le filet à terre, sans qu'il y ait de piège ?" (Am 3, 3-5). L'énumération d'Amos se poursuit dans les lignes suivantes et s'ouvre sur ce mashal d'une force extraordinaire dans son parallélisme : "le lion a rugi : qui ne craindrait ? Le Seigneur Yahwé a parlé : qui ne prophétiserait ?"(Am 3, 8).

On retrouvera dans l'évangile des paroles frappées, de ce style. Ainsi : "les renards ont des tanières et les oiseaux du ciel des nids, mais le Fils de l'homme n'a pas d'endroit où reposer la tête"(Mt 8, 20 ; Luc 9, 58).

Une autre forme du mashal est la comparaison. La Bible y recourt sans cesse, tant l'homme a besoin d'images pour accéder aux choses essentielles. La littérature rabbinique, mais aussi les évangiles, l'introduiront volontiers des quelques mots stéréotypés : "à quoi la chose ressemble-t-elle ?", "à qui - ou à quoi - pourrions nous comparer... ?". Ces mots ouvrent déjà à ce qui sera véritablement la parabole : déjà, fût-il très bref, un récit. Les Psaumes utilisent fréquemment la comparaison. Pour dire sa souffrance et sa plainte, le psalmiste crie "comme la biche après les eaux vives", car il est devenu "comme une terre désolée"(Ps 42-43, etc.). Le livre du Cantique des Cantiques fourmille de ces comparaisons magnifiques que l'on connaît bien, de même le livre de Job, où on lit aussi cette phrase significative : "alors, Job continua de s'exprimer en sentences et dit..."(Jb 27, 1).

On pressent que la comparaison peut être extrêmement simple, banale même, quand il ne s'agit que de dire qu'il en sera de ce peuple comme de tel autre peuple. Mais la comparaison entraîne parfois à l'infini, comme dans les comparaisons et images d'une extrême audace, employées par Osée pour parler de Dieu : "Quand Israël était jeune, je l'ai aimé, et d'Égypte j'ai appelé mon fils. Ceux qui les appelaient, ils s'en sont écartés : c'est aux Baals qu'ils ont sacrifié et c'est à des idoles taillées qu'ils ont brûlé des offrandes. C'est pourtant moi qui avais appris à marcher à Ephraïm, les prenant par les bras, mais ils n'ont pas reconnu que je prenais soin d'eux. Je les menais avec des attaches humaines, avec des liens d'amour, j'étais pour eux comme ceux qui soulèvent un nourrisson contre leur joue et je lui tendais de quoi se nourrir.
Mon peuple ! ils s'accrochent à leur apostasie : on les appelle en haut, mais tous, tant qu'ils sont, ils ne s'élèvent pas. Comment te traiterai-je, Ephraïm, te livrerai-je, Israël ? Comment te traiterai-je comme Adma, te rendrai-je comme Cevoïm? Mon cœur est bouleversé en moi, en même temps ma pitié s'est émue. Je ne donnerai pas cours à l'ardeur de ma colère, je ne reviendrai pas détruire Ephraïm ; car je suis Dieu et non pas homme. Au milieu de toi je suis saint : je ne viendrai pas avec rage". (Os 11, 1-4. 7-9)

La comparaison s'ouvre parfois dans la Bible en devinette ou en énigme (cf. Jg 14, 10-18), ou parfois en apologue, comme dans le célèbre texte de Jg 9, connu sous le titre d'apologue de Yotam : "Tous les notables de Sichem et tout Bet-Millo se réunirent et ils proclamèrent roi Abimélek - qui vient de tuer l'ensemble de ses frères ! - près du chêne de la stèle qui est à Sichem. On l'annonça à Yotam. Il vint se poster sur le sommet du mont Garizim et il leur cria à haute voix : " Écoutez-moi, notables de Sichem, pour que Dieu vous écoute ! Un jour les arbres se mirent en chemin pour oindre un roi qui régnerait sur eux. Ils dirent à l'olivier : Sois notre roi ! L'olivier leur répondit : Faudra-t-il que je renonce à mon huile, qui rend honneur aux dieux et aux hommes, pour aller me balancer au-dessus des arbres? Alors les arbres dirent au figuier : Viens, toi, sois notre roi ! Le figuier leur répondit : Faudra-t-il que je renonce à ma douceur et à mon excellent fruit, pour aller me balancer au-dessus des arbres ? Les arbres dirent alors à la vigne : Viens, toi, sois notre roi ! La vigne leur répondit : Faudra-t-il que je renonce à mon vin, qui réjouit les dieux et les hommes, pour aller me balancer au-dessus des arbres ? Tous les arbres dirent alors au buisson d'épines : Viens, toi, sois notre roi ! Et le buisson d'épines répondit aux arbres : Si c'est de bonne foi que vous me donnez l'onction pour que je sois votre roi, venez vous abriter sous mon ombre. Sinon, qu'un feu sorte du buisson d'épines et dévore les cèdres du Liban ! "Puis Yotam prit la fuite. Il se sauva pour échapper à son frère Abimélek".

De tels récits ouvrent à la parabole. Ainsi, quand David aura fait tuer Urie le Hittite, chef de ses armées, pour prendre Bethsabée, sa femme, le prophète Natan viendra trouver David pour dénoncer la faute commise par le roi. Mais comment donc le faire sans entrer en vains conflits avec lui et sans ouvrir la voie à la multiplication des paroles qui justifient l'injustifiable ou tentent de le faire par l'accumulation de propos stériles ? Natan va trouver David. Mais voici le texte biblique, bien connu : "Le Seigneur envoya Natan à David. Il alla le trouver et lui dit : "Il y avait deux hommes dans une ville, l'un riche et l'autre pauvre. Le riche avait force moutons et boeufs. Le pauvre n'avait rien du tout, sauf une agnelle, une seule petite, qu'il avait achetée. Il la nourrissait. Elle grandissait chez lui en même temps que ses enfants. Elle mangeait de sa pitance, elle buvait à son bol, elle couchait dans ses bras. Elle était pour lui comme une fille. Un hôte arriva chez le riche. Il N'eut pas le cœur de prendre de ses moutons et de ses bœufs pour apprêter le repas du voyageur venu chez lui. Il prit l'agnelle du pauvre et l'apprêta pour l'homme venu chez lui." David entra dans une violente colère contre cet homme et il dit à Natan : "Par la vie du Seigneur, il mérite la mort, l'homme qui a fait cela. Et de l'agnelle il donnera compensation au quadruple, pour avoir fait cela et pour avoir manqué de cœur". Natan dit à David : "Cet homme, c'est toi ! "". (2 S 12, 1-7)

Il me faut encore citer un texte d'Isaïe (5, 1-7 ; cf. aussi Is 28, 24-29), très connu lui aussi sous le nom de "chant de la vigne", car il commence comme un chant d'amour, au temps des vendanges. Mais, pourtant magnifiquement ouvert, ce chant semble tourner court, car la vigne déçoit. Le chant devient alors appel à témoins pour un jugement, autour d'une vigne et d'un amour déçu. Le verdict inverse les gestes empressés que chantait le chant d'amour. Tombe alors un second verdict, inattendu mais imparable, car la vigne était celle du Seigneur et c'est de la maison d'Israël que parlait avec tellement d'émotion le chant. Et le fruit attendu était droit et justice quand sont venus iniquité et cris des malheureux. Commencé au temps des vendanges et à portée de main de la vigne, le chant s'est tu et la parabole accuse, au cœur même des murs et de la vie de la cité, un peuple de Dieu qui a déçu et failli. Le peuple lui-même a été pris à témoin de sa propre transgression et de son abandon, même si le prophète semble ne pas lui laisser la place de cette parole dans laquelle il s'accuserait lui-même. Pourtant la parole est dite, et elle est claire.
Entendons plutôt :
"Que je chante pour mon ami, le chant du bien-aimé et de sa vigne :
Mon bien-aimé avait une vigne sur un coteau plantureux.
Il y retourna la terre, enleva les pierres, et installa un plant de choix.
Au milieu, il bâtit une tour et il creusa aussi un pressoir.
Il en attendait de beaux raisins, il n'en eut que de mauvais.
Et maintenant, habitants de Jérusalem et gens de Juda, soyez donc juges entre moi et ma vigne.
Pouvais-je faire pour ma vigne plus que je n'ai fait ?
J'en attendais de beaux raisins, pourquoi en a-t-elle produit de mauvais ?
Eh bien, je vais vous apprendre ce que je vais faire à ma vigne : enlever la haie pour qu'elle soit dévorée,faire une brèche dans le mur pour qu'elle soit piétinée.
J'en ferai une pente désolée, elle ne sera ni taillée ni sarclée, il y poussera des épines et des ronces et j'interdirai aux nuages d'y faire tomber la pluie.
La vigne du Seigneur, le tout-puissant, c'est la maison d'Israël, et les gens de Juda sont le plant qu'il chérissait.
Il en attendait le droit, et c'est l'injustice.
Il en attendait la justice, et il ne trouve que les cris des malheureux".

Dictons ou adages, comparaisons multiples, parfois développées en récits, apologues ou paraboles, la Bible nous offre de multiples formes de cette parole imagée qui, dans le chant de la vigne conjugue à la fois le chant et la parabole, pour s'ouvrir en oracle. On aura cependant remarqué que, dans les deux derniers exemples, la parabole est expliquée et les personnages fictifs ou imagés qu'elle met en scène (le pauvre et son agnelle pour David, l'image de la vigne chez Isaïe) sont identifiés par le prophète à la fin du récit. On est alors entré, sans véritablement y prêter attention, dans un autre genre parabolique: l'allégorie.

Dans l'allégorie, l'auditeur ou le lecteur sont invités à lire ensemble ou allant de l'une à l'autre, une histoire en superposition d'une autre histoire, à laquelle la première renvoie terme à terme, que cela soit clairement exprimé - c'est en général le cas - ou éventuellement implicite, quand le lecteur est amené à le comprendre de lui-même. Chaque élément de l'histoire racontée est ainsi en quelque sorte à décoder, il renvoie à un autre élément, d'une autre histoire, qui se construit ainsi dans le décalque de celle qui est racontée. Ainsi que l'écrit V. Fusco : "un texte (ou une partie de celui ci) fonctionne comme une allégorie si, à travers les codes en vigueur dans une certaine culture, il fait comprendre au lecteur qu'avec la signification littérale, il faut aussi considérer une signification non littérale. La caractéristique essentielle est le jeu continu de la superposition qui produit toute une série d'effets : esthétiques, pathétiques, didactiques. Le lecteur doit suivre chaque épisode en superposant deux histoires et en lisant l'une à la lumière de l'autre." Les Pères de l'Église et ceux du Moyen-Age ont pratiqué avec dilection cette méthode de lecture des textes, également appelée "allégorèse".

On trouve d'assez nombreux exemples d'allégorie dans la Bible. On relira par exemple le chapitre 16 d’Ézéchiel, qui fait une relecture de l'ensemble de l'histoire d'Israël sous les traits d'une jeune fille, abandonnée à sa naissance et recueillie, qui grandit - et c'est l'histoire de la sortie d'Égypte et de l'Alliance - puis se prostitue, oubliant l'histoire d'amour qu'elle vient de vivre. Cette histoire d'amour est en même temps l'histoire de l'alliance du Seigneur avec son peuple, à laquelle elle renvoie par chacun de ses éléments. Ainsi Israël a-t-il abandonné Dieu. L'allégorie est ici implicite, elle est en d'autres cas développée. C'est encore le cas en Ézéchiel 34, qui conjugue allégorie et métaphore : Dieu lui-même s'y fait berger, ce que reprendra St Jean dans des " paraboles "ou métaphores bien connues.

On pourrait encore ici évoquer les visions des prophètes. Elles sont en général d'une extrême simplicité, car le prophète ne voit rien que quiconque ne puisse voir, spectacles très quotidiens d'un amandier qui fleurit ou d'une bouilloire qui fume et dont la fumée est rabattue par le vent du Nord (Jérémie 1), d'une corbeille de fruits dont quelques uns sont devenus trop mûrs, d'un char de foin qui s'enfonce dans l'ornière sous le trop plein (Amos 5-7). Mais le prophète entend en cette situation une parole qui confère à la vision une amplitude aux dimensions de l'histoire et de Dieu même et de son intervention dans l'histoire. Dirons-nous que cette explication des visions est allégorie, ou bien métaphore ? Elle en a la force. Une force propre à soulever l'histoire... si du moins cette parole était entendue ! Approche de la réalité et de sa part encore mystérieuse par le secours de la parole ou plus qu'une parole, un regard sur des scènes très communes de la vie quotidienne, qui tout à coup parlent d'ailleurs ou de la face encore cachée - ou non vue ! - des choses.

La littérature prophétique présenterait de multiples autres richesses quant au sujet qui nous occupe du mashal ou de la parabole. Il suffira d'évoquer encore, faute de pouvoir développer ici ce sujet, les multiples gestes prophétiques ou gestes symboliques des prophètes. Ne sont-ils pas parole, véritable métaphore qui saisit le corps lui-même ? Le corps alors devient parole qui relie - dans un corps d'homme - l'histoire de Dieu à celle des hommes.

On aura saisi que le mashal est inhérent à la pensée biblique, comme peut-être à tout esprit oriental. On ne sera pas surpris de le trouver très couramment utilisé en milieu rabbinique, au temps de Jésus, comme dans les siècles qui suivront, ainsi que l'atteste le Talmud. Mais on observera que le mashal rabbinique est tout entier orienté à scruter la Torah, la Loi, comme l'indique avec clarté le texte suivant :
"Rab Nahman a donné deux explications : cela est comparable à un vaste palais qui avait beaucoup de portes; quiconque y pénétrait ne pouvait retrouver le chemin de la porte d'entrée. Vint un malin qui prit une pelote (de ficelle) et la suspendit à la porte d'entrée. Tout le monde put alors entrer et sortir grâce à la pelote de ficelle. Ainsi, jusqu'à Salomon, personne ne pouvait comprendre les paroles de la Torah : mais lorsque vint Salomon, on commença à comprendre la Torah. R. Nahman dit encore : cela est comparable à un fourré de roseaux où nul ne pouvait pénétrer. Vint un malin qui prit une faucille et se mit à faucher. Tout le monde entra et sortit par la brèche. Ainsi fit Salomon. R. Yosé dit : cela est comparable à une grande corbeille pleine de fruits ; mais comme elle n'avait pas d'anse, on ne pouvait la transporter. Vint un malin qui lui fit des anses grâce auxquelles on put la transporter. Ainsi, jusqu'à Salomon, nul ne pouvait comprendre les paroles de la Torah, mais quand vint Salomon tous commencèrent à comprendre la Torah
R. Hanina dit : cela est comparable à un puits profond plein d'eau, d'une eau fraîche, douce et bonne, mais personne ne pouvait en boire. Vint un homme qui ajouta corde à corde, ficelle à ficelle, en puisa et but. Et tout le monde se mit à puiser et à boire. Ainsi, de parabole en parabole, Salomon pénétra jusqu'au secret de la Torah, comme il est écrit : "Proverbes de Salomon... destinés à faire connaître la sagesse et l'instruction" (Pr 1, 1). Par les meshalim de Salomon, on comprit les paroles de la Torah. Nos maîtres ont dit : que le mashal ne soit pas une petite chose à tes yeux, parce que, grâce à lui, l'homme peut comprendre les paroles de la Torah. Parabole d'un roi qui, dans sa maison, a perdu une pièce d'or ou une pierre précieuse. Ne la cherche t il pas avec une mèche qui ne vaut pas plus d'un sou ? Ainsi le mashal ne doit pas être une petite chose à tes yeux parce que, grâce à lui, on peut pénétrer les paroles de la Torah. Et tu sais qu'il en est ainsi parce que c'est au moyen du mashal que Salomon a compris les plus petits détails de la Torah".

On observera que, dans ce texte, la parabole elle même est expliquée par une autre parabole qui en souligne le caractère utilitaire : "c'est comme une mèche qui sert à chercher une perle précieuse". La simplicité des moyens employés (ficelle, seau, anse, mèche... ) met la Torah à la portée de tous. Le mashal ouvre à sa compréhension.

On lit dans l'évangile de Marc : "par un grand nombre de paraboles, il (Jésus) leur annonçait la parole, dans la mesure où ils étaient capables de l'entendre" (Mc 4,33). La recherche exégétique moderne s'est penchée avec attention et intérêt sur cette question. Les résultats auxquels elle est parvenue sont décisifs et éclairants. Il suffit d'entendre : "Celui qui étudie les paraboles de Jésus telles que nous les ont transmises les trois premiers évangiles prend pied sur un fondement historique particulièrement solide ; car elles sont un fragment du roc primordial sur lequel s'est édifiée la tradition." Tels sont les premiers mots d'une étude sur les paraboles de Jésus, de Joachim Jeremias (1947), qui a marqué l'exégèse des paraboles évangéliques de façon décisive.

Les paraboles font partie du roc primordial de la tradition chrétienne. En écoutant les paraboles des évangiles, sommes-nous pour autant en présence des ipsissima verba (des mots mêmes) de Jésus, que les travaux de J. Jeremias recherchaient dans toute la rigueur du travail exégétique ? La recherche récente conduit sur ce point à des affirmations plus nuancées, j'y reviendrai dans la suite de l'exposé. Du moins la recherche sur le Jésus historique a-t-elle établi avec fermeté ce point : Jésus fut un conteur d'histoires, et le genre littéraire de la parabole a été un trait distinctif de sa prédication. Les paraboles nous donnent peut-être alors accès à l'ipsissima vox, la voix de Jésus, à défaut de l'intégralité de ses paroles.

Les évangiles nous rapportent quarante paraboles , à quoi il faut ajouter une trentaine de similitudes brèves. On considère en général que c'est beaucoup, compte tenu du nombre de paraboles que la tradition a pu perdre ou ne pas retenir. Et l'on pense que Jésus fit effectivement un usage particulièrement important de la parabole dans son enseignement, peut-être beaucoup plus que ne le firent les rabbins ou les rabbi dans leur enseignement. Le même terreau d'enracinement donnait un fruit différent. Et cette différence même nous intéresse. Il ne s'agira pas de dire simplement que Jésus fut meilleur conteur de paraboles, ce qui est une affirmation de type finalement apologétique, mais de voir comment l'usage de la parabole chez Jésus ouvre à un univers de compréhension ou de référence très particulier.

Mais les paraboles ont une histoire, et lorsqu'elles nous parviennent dans les évangiles, elles ont déjà fait l'objet d'une tradition, d'une transmission importante. Certains ont pensé que cette transmission déforme et a donc altéré la prédication de Jésus et la beauté première des paraboles. Je reviendrai sur cette question importante pour un regard critique, qui laissera entendre que la tradition n'est pas nécessairement perte, mais peut-être richesse, et cette tradition - y compris dans les transformations qu'elle pouvait apporter à la prédication primitive, aux paroles de Jésus - est peut-être même nécessaire. Peut-être est-elle le signe de la vie des paroles de Jésus et le signe aussi du ferment des paraboles. Sans elles aurions nous jamais pu entendre même les paraboles de Jésus ?

Jeremias, à la suite de quelques autres - on se réfère en général aux travaux de Jülicher à la fin du siècle dernier (publiés en 1886 et 1892, et réédités plusieurs fois depuis, jusqu'en 1976 !) - a montré de façon claire et aujourd'hui communément acceptée que, de Jésus aux évangiles, l'histoire des paraboles est longue. Cette histoire va de la tradition orale araméenne à la version grecque et à la mise en écriture, du regroupement de collections à l'intégration dans le récit des évangiles. La recherche a ratifié et considère toujours comme exemplaire, cette analyse stratifiée du parcours qui conduit de l'homme de Nazareth au livre. Mais notre connaissance et notre identification de ce parcours se sont aujourd'hui affinées.

Sur la base des travaux de Jülicher, les exégètes ont pendant longtemps distingué dans l'ensemble des paraboles trois catégories. En premier lieu, les similitudes, paroles images ou comparaisons développées que nous avons évoquées plus haut, qui portent au langage une scène typique de la vie quotidienne. Elles tirent leur force persuasive de l'évocation de ce qui est communément admis. Ce qui est peu clair ou qui est contesté est ainsi analogiquement éclairé par ce qui est bien connu. En second lieu, les paraboles proprement dites, qui se présentent comme la narration d'un cas particulier intéressant, dans lequel interviennent un ou plusieurs personnages. Elles font appel au sens commun, mais tirent leur pouvoir suggestif de la péripétie extraordinaire qu'elles évoquent, nous y reviendrons. En troisième lieu enfin, les récits-exemples. Ils se rapprochent des paraboles par leur caractère narratif, mais ils s'en distinguent par leur absence de dimension métaphorique. Ils proposent des exemples de conduite qui demandent à être imités sans autre transposition. Peut-être est-ce le cas de la parabole du "bon Samaritain", qui conclut : "va, et toi aussi fais de même" (Luc 10). L'étude, ici encore, s'est considérablement affinée ces dernières années, grâce en particulier à la redécouverte, à la suite des travaux de P. Ricoeur, de la métaphore et de sa place essentielle dans le langage.

Une histoire qui appelle au voyage : le fonctionnement de la parabole

Plus que le "coeur" ou le "centre" de l'Évangile, les paraboles seraient à voir, selon certains commentateurs, comme la "frontière" de l'Évangile, le terrain de rencontre et de dialogue entre l'Évangile et la situation des interlocuteurs. Cela est probablement vrai : la parabole, en effet, va en quelque sorte chercher l'auditeur pour l'amener sur un autre terrain que celui qui lui est habituel ou familier. Ce déplacement ou cet "exode", dans lequel l'auditeur est amené à franchir ses frontières, ne seraient-ils pas cependant le coeur même de l'Évangile, surprise d'une Bonne Nouvelle qui entraîne ailleurs, qui transforme, qui crée de l'ancien en raison même de la nouveauté qui advient ?

Comment la parabole opère-t-elle ce déplacement ? Sa nature même est ici en cause : elle est une narration, non pas réaliste ou descriptive, mais fictive et destinée à un transfert. Il faudra en effet, dans le mouvement même du récit, sortir de la narration elle-même, car elle fait référence à une autre réalité et provoque l'auditeur à s'ouvrir à cette autre réalité qu'elle évoque, peut-être même à prendre option sur cette réalité, car le récit ne laisse pas son auditeur neutre. La parabole, on le voit, s'inscrit toujours dans un contexte de dialogue : que soient ou non nommés les interlocuteurs, ils sont toujours présupposés par la nature même de la parabole, qui est profondément communication ; la parabole est une forme de langage qui s'inscrit dans un dialogue. Elle ne raconte pas pour le plaisir de raconter, elle se présente avant tout comme un moyen, un instrument, pour opérer un transfert ou une transformation. Elle cherche une forme d'assentiment, elle presse l'auditeur à prendre parti. Ainsi, dans la parabole du "bon Samaritain"(Lc 10, 30-37), à la question du légiste qui demande à Jésus "qui est mon prochain ?", Jésus répond-il par une parabole, qui déplace la question. Jésus interrogera à la fin de la parabole : "qui s'est montré le prochain... ?" La question initiale est ainsi reprise au terme du récit, pour être renvoyée, modifiée, à l'intéressé. L'objectif engagé dans la parabole n'est plus le même que celui de la question de départ. Pour répondre à la question de Jésus, le légiste est obligé de s'investir lui-même dans le récit parabolique.

Simples comparaisons pour donner à comprendre ? Elles sont empreintes de démesure....

A son niveau le plus simple, la parabole est comparaison. Elle trace par un récit une comparaison développée propre à faire comprendre à l'auditeur une autre réalité. Elle part du connu vers le moins connu, l'encore obscur ou le non visible, peut-être le caché. Mais de surcroît, comme l'a en particulier montré Ricoeur, partant d'une similitude ou évoquant une situation connue, la parabole est marquée en son centre ou son mouvement, par une extravagance, une forme de démesure. Les situations décrites par les paraboles sont en effet toujours portées, que l'on en soit conscient ou non, à la caricature ou à la démesure. Qu'il s'agisse du taux de rendement du grain (Marc 4, 1-9), de l'évocation de deux débiteurs, l'un devant infiniment peu, l'autre chargé d'une dette écrasante au-delà de toute proportion (Luc 7, 40-43), qu'il s'agisse de l'histoire du pauvre Lazare et du riche dont l'histoire semble devoir se conjoindre jusqu'au-delà de la mort au point que le riche fasse appel au pauvre Lazare pour le délivrer de son mal (Luc 16, 19-30), qu'il s'agisse encore du berger qui abandonne 99 brebis pour aller à la recherche de la dernière (Luc 15, 4-7), ou qu'il s'agisse encore des aléas de l'histoire de celui que la tradition nous a transmis sous le nom du "fils prodigue"(Luc 15, 11-32), on pourrait multiplier les exemples et relire presque chaque parabole, pour montrer ce point de démesure qui marque toute parabole et par lequel la parabole fait passer aussi l'auditeur ou le lecteur, l'emmenant au-delà du strictement concevable, insensiblement, probablement par la magie du récit. L'auditeur des paraboles est ainsi emporté, qu'il y prenne garde ou non, au pays de l'inouï, de l'inimaginable ou de l'inimaginé, du côté de Dieu... et de sa démesure.

S'il en est ainsi, c'est que la parabole éveille l'affectif autant que l'intellect. Mais c'est aussi que dans un récit, non seulement fictif mais parabolique, rien n'arrive par hasard. Tout est voulu et organisé de façon à la fois discrète et savante, de façon à conduire le lecteur vers cet ailleurs que la parabole a pour vocation d'indiquer, de tracer. Mais en même temps, le récit - et c'est là sa force incomparable - conserve ce minimum de plausibilité narrative qui le rend "acceptable" par l'auditeur. L'art de cette écriture ou cet art de raconter seraient à rapprocher peut-être de l'art du dessinateur de caricatures, que l'on pense par exemple aux dessins de Piem. Selon une expression de C. Bobin parlant de Jacques de Voragine et de son écriture de l'histoire au Moyen-Age, il trempe véritablement les doigts dans l'encre pour écrire. Le trait alors, ressemblant à l'objet décrit, le fait en même temps passer du côté de la caricature, du "vrai" ou véritable et pourtant inimaginé, cet autre côté des choses ou cet autre regard sur les choses... Ainsi en est-il peut-être de la parabole : sa source d'inspiration et le lieu de son surgissement ne seraient-ils pas précisément cet ailleurs ?

La force argumentative de la parabole : une stratégie de communication

Si la parabole entraîne du côté de l'inouï, elle n'a pas pour autant fini en cet instant son chemin. Il est nécessaire que dans un premier temps elle entraîne l'auditeur hors de ses frontières, pour le rendre à sa liberté d'imaginer... l'inimaginable pour lui, mais ceci intervient toujours en situation. C'est au coeur de cette situation que la parabole ouvre le regard et par là introduit à une autre perception du monde, à un autre regard sur le monde. A des gens familiers de la nature, Jésus parle. Il leur parle de ce qu'ils connaissent et qu'ils ont observé. Il les entraîne même au-delà de l'observé, puisqu'il les conduit, par la magie ou la force du récit, jusqu'à l'extravagance. Mais celle-ci, aux limites du vraisemblable, est encore acceptable, car on attend la suite. Et c'est l'ouverture du regard, l'écarquillement des yeux face à la réalité du Royaume, que Jésus annonce. La parabole ouvre le regard.

Il est des moments, fréquents, où la parabole intervient dans un conflit, une situation inacceptable, voire bloquée. Dans ces contextes, la parabole revêtira une force d'argumentation. Les biblistes ont forgé pour le dire l'expression de "stratégie dialogique argumentative". Jésus est à table chez un pharisien, du nom de Simon, quand survient une femme qui s'approche de lui, verse sur ses pieds les larmes de ses pleurs, sèche ses pieds de ses cheveux, les couvre de baisers et de parfum. Simon, outré, s'étonne : "si cet homme était un prophète, il saurait ce qu'est cette femme, une pécheresse ! ". Sa pensée est faite. C'est même un verdict, qui touche de surcroît Jésus en même temps que la femme : "si cet homme était un prophète... ! ". Jésus demande à lui parler, ce qu'il trouve tout à fait acceptable et il lui donne volontiers la parole. C'est une parabole que Jésus entreprend de dire, celle des deux débiteurs dont l'un doit peu et l'autre une véritable fortune. A tous deux la dette est remise. Qui aura le plus de reconnaissance ? La question est posée et Simon se voit acculé à déposer les armes et à reconsidérer ses évidences.

Une telle question est typique de nombreuses paraboles. Elle est typique du fonctionnement argumentatif : "que fera donc le propriétaire de cette vigne ?" demandera Jésus aux grands prêtres et pharisiens dans un moment de véritable paroxysme dans le conflit avec eux (Matthieu 21, 40). "Mais dites-moi votre avis, dit-il encore : une homme avait deux enfants..." (Matthieu 21, 28). David, on s'en souvient, avait anticipé la question quand Natan lui avait raconté l'histoire du pauvre qui n'avait qu'une agnelle qu'il chérissait et que lui avait prise d'autorité le riche : "David entra en grande colère contre cet homme et dit à Natan... : "cet homme mérite la mort !".(2 S 12, 5).

La question prenant à témoin ou même plutôt pour juge l'interlocuteur est fréquente. On la trouve dès ces récits sur David, ou encore dans le chant de la vigne d'Isaïe, que nous avons eu l'occasion d'évoquer (Isaïe 5). On la trouve sous de multiples formes dans les paraboles évangéliques : "qu'en pensez vous ?", "que fera cet homme ?", "lequel de ces deux (de ces trois)... ?", ou encore : "lequel d'entre vous... ? ", "peut être que... ?", "comment est il possible que... ?" : interrogations parfois rhétoriques, qui anticipent déjà sur l'unique réponse possible. On trouve aussi, ayant même valeur, des constructions affirmatives ou négatives générales qui soulignent l'absurdité du contraire : "quiconque...", "personne...", "il n'est pas possible que...". Ce sont là des variantes de la question introduisant l'interlocuteur dans la parabole. Elles signalent l'inscription de la parabole comme un élément-clé dans un processus d'argumentation. On s'est parfois interrogé sur l'absence de telles constructions dans les récits paraboliques plus longs. Quand c'est le cas, la question apparaît à l'intérieur du récit, dans la bouche des personnages mis en scène, tel le père de l'enfant appelé "prodigue", etc.

Dans l'ensemble de ces paraboles, il y a bien plus, on le voit, qu'une simple comparaison développée. Il y a bel et bien argumentation puisqu'est présenté un choix et que l'auditeur est amené à trancher. Mais il est amené à le faire guidé dans son choix par ce qui a été posé dans le début du récit et qui presse à conclure en faveur de l'hypothèse proposée par Jésus dans la parabole, comme à quelque chose de nécessaire. Il semble bien que Jésus ne veut pas se limiter à renverser la vision courante pour une vision nouvelle présentée comme une simple possibilité, mais qu'il veut la faire reconnaître aux interlocuteurs comme celle qui est juste, vraie, nécessaire à la vie. L'interlocuteur est interpellé, il pourra reconnaître la vérité de cette nouvelle vision opposée à l'ancienne, dans l'acte même où il l'accueille, la faisant sienne existentiellement. La parabole, en ce cas, par le fait même de montrer cette vision ou cette attitude comme possibles, les rend possibles. On remarquera, en ce sens, que Jésus ne demande pas à Simon le pharisien s'il est vraisemblable qu'un homme, après avoir prêté son argent, renonce à le recouvrer (là s'opère discrètement l'entrée dans l'extravagance). Jésus se limite à proposer narrativement cette hypothèse et puis lui demande seulement lequel des deux débiteurs devra avoir le plus de gratitude, et Simon peut parfaitement répondre à cette question en raisonnant de façon simplement logique (Lc 7, 36 50). De même dans la parabole du serviteur sans pitié (Mt 18, 23 35), la scène de la remise inespérée reçue du roi est suivie... par hasard (c'est ici que s'opère à nouveau le passage à l'extravagance) de la scène du refus par cet homme même, d'une dette bien plus petite, à un autre homme. On pourrait multiplier les exemples.

L'auditeur, dans un premier temps, ne doit superposer l'histoire de la parabole à aucune autre histoire, mais la considérer attentivement dans sa signification littérale, dans sa dynamique interne, pour en retirer l'évaluation requise : "lequel de ces deux aura un plus grand motif de reconnaissance ? Je suppose celui à qui a été remise une somme plus grande. Tu as bien jugé... " (Luc 7, 42 43). C'est seulement à cet instant qu'intervient la sortie de la situation fictive et que s'opère un transfert : "Tu vois cette femme ? Eh bien... etc." (Luc 7, 44). La dynamique argumentative s'opère donc en deux temps: (1) "Cet homme mérite la mort !", (2) "cet homme, c'est toi !" (2 S 12, 1 7). La structure littéraire oblige l'auditeur ou le lecteur à attendre la conclusion du récit pour mesurer le choix qui lui est proposé ou opérer un discernement sur l'enjeu du départ.

Pour que la stratégie "dialogique argumentative" puisse fonctionner, le récit doit rassembler deux conditions essentielles : ressemblance et distance. Elle doit d'une part présenter un développement cohérent, une dynamique telle qu'elle conduise à l'évaluation désirée et non à une autre. Ainsi, David ne peut condamner le pauvre qui a été victime du vol et absoudre le voleur, Simon ne peut répondre à Jésus que c'est le débiteur de la plus petite somme qui sera le plus reconnaissant, etc. Et elle doit d'autre part développer une histoire assez différente de la situation à laquelle elle répond, et à laquelle elle doit être appliquée. Le récit qu'elle offre doit pouvoir exister seul et valoir pour lui-même, sans mener à des anticipations prématurées, qui détruiraient tout effet chez l'auditeur. Mais il doit en même temps être assez semblable, analogue, afin de permettre - ou peut-être mieux, exiger - que l'évaluation formulée par rapport au récit puisse être transférée à la situation qui a provoqué ce récit. Ainsi, la faute de David n'a pas été un vol d'animal et celle du personnage construit par le prophète n'a pas été un adultère suivi par un homicide, et cependant il est possible de dire : "cet homme, c'est toi !", étant donné que les deux histoires présentent une structure identique (A/B = A'/B'). Dans toutes les deux, il y a un riche, un puissant qui a fait violence à un pauvre. Comme l'écrit D. Marguerat, "l'art du paraboliste est d'introduire l'interlocuteur dans l'ailleurs d'une histoire fictive, et là, de construire un accord avec lui. (...) L'évidence de la parabole induit la réponse correcte, l'analogie entre la fiction et la question débattue assure la plausibilité du transfert."

La parabole comme métaphore

La métaphore, nous l'avons évoqué en commençant, naît d'une tension entre le mot et le champ sémantique dans lequel il est introduit ; la dissonance lui est constitutive. La comparaison démontre et explique ; la métaphore crée un choc de langage. La comparaison convainc par la clarté ; la métaphore provoque et déroute par la discordance. Opérant le rapprochement inattendu de deux réalités différentes, de deux mots appartenant à des champs sémantiques habituellement distincts, elle provoque une superposition presque visuelle qui fait voir les choses d'une manière nouvelle. N'est-ce pas le cas des paraboles ? Ayant montré plusieurs des éléments qui en font un véritable outil dans le dialogue, jouant puissamment dans le jeu de l'argumentation, il reste à ouvrir ce nouveau champ de compréhension de la parabole. Ne fonctionnerait-elle pas, en définitive, comme la métaphore dans le discours ? Elle serait en ce cas non pas une métaphore, mais un récit-métaphore.

On quitte ici le domaine de la rhétorique, dans lequel nous étions jusqu'à présent, pour celui de la poétique, pour regarder la parabole comme une "métaphore élargie" ou une métaphore érigée en récit. A l'intérieur de la fiction narrative surgit en effet la discordance de deux mondes ; deux ordres de valeurs sont mis en tension, la parabole esquisse en quelque sorte une nouvelle structure de monde, elle profile un possible qui met en crise la réalité. A l'auditeur de choisir s'il entre ou non dans le jeu de ce possible.

La parabole métaphore crée une dissonance dans l'ordre du quotidien, elle joue en fait sur l'émotivité plutôt que sur la logique et déroute en quelque sorte l'auditeur, par l'ouverture qu'elle crée, dans le langage à la fois inattendu et audacieux qui est le sien. Telle est en effet la force de la métaphore. On la mesure mieux encore si l'on observe l'impossibilité, pour la métaphore, d'être en fait expliquée ou traduite en langage discursif. La comparaison peut l'être, pas la métaphore. On ne peut résumer un poème, on ne peut que l'évoquer, de même en va-t-il de la métaphore. Et de la même façon, la parabole, lorsqu'elle fonctionne sur ce mode, ne peut être réduite à un commentaire : le commentaire est infini. Ainsi, même lorsque la parabole du grain semé (Marc 4, 14 20) ou celle de l'ivraie (Matthieu 13, 36-43) sont expliquées terme à terme - ce qui les emporte sur le terrain de l'allégorie -, elles demeurent comme effervescentes et ne cessent de provoquer le lecteur ou l'auditeur à une recherche de sens, tant ceux-ci sont multiples ou infinis. La métaphore - et avec elle le récit qui fonctionne sur le mode de cet "écartèlement" ou de cette ouverture du réel que constitue la métaphore - se caractérise par l'excès de sens, irréductible en fait à toute explication. Imaginerait-on un résumé de la parabole du bon Samaritain (Luc 10, 30-37) ? Ou encore de celle du riche encombré d'une moisson trop abondante et qui rêve de construire de nouveaux greniers tandis que, cette nuit même, la mort peut l'emporter (Lc 12, 16-21) ? On pourrait énumérer ainsi un certain nombre de paraboles. On remarquera que pour évoquer la dernière, allant plus loin que le titre seul de la précédente (le "bon Samaritain"), je n'ai fait qu'abréger le récit, mais en en gardant la forme de récit. Sinon, que faire ? Le résumer à sa morale ? La parabole vue comme métaphore est considérée dans sa force de récit, d'une part, et dans sa force de tension entre deux - ou plusieurs - mondes d'autre part. Car où se situe au juste, dans la parabole, la tension qui caractérise toute métaphore ?

On s'est en effet parfois demandé comment fonctionnait la parabole vue comme métaphore chez le lecteur ou l'auditeur. Ce qui importe ici, on l'a vu, n'est pas l'analogie entre deux situations, comme dans une comparaison, mais bien la tension qui est instaurée, le choc de langage, le rapprochement inattendu de deux réalités qui ne sont pas analogues et que l'on ne penserait pas à mettre en lien. Ce qui opère dans l'esprit du lecteur est-il alors la plénitude ou l'excès de sens provoqué par la superposition de deux images ou de deux réalités, propre à la métaphore ? Ou bien plutôt les vides que la parabole instaure, laissant à l'auditeur le soin de les remplir ? Dans la seconde hypothèse, on pense à l'absence de conclusion ou à l'ouverture laissée par la parabole elle-même comme une possibilité - ou une provocation - pour l'auditeur de s'identifier à tel ou tel des personnages. Le suspens créé par la parabole dans son récit ne s'éteint pas au terme de celui-ci et l'auditeur ou le lecteur sont mis en chemin peut-être infini, comme on l'est à l'écoute d'une métaphore dans un récit ou un poème quand, selon le mot de Ricoeur, la métaphore est une métaphore vive, ne pouvant que résonner à l'infini. La tension établie par la parabole est à l'intérieur du lecteur, la tension établie entre deux mondes, l'un familier, et l'autre ouvert par la parabole. Elle est la tension entre la situation et le monde de valeurs de l'auditeur et ceux que la parabole met en scène. Elle est l'espace ouvert d'une décision entre ce monde connu et un autre qui vient d'éclore devant lui, encore printanier et peut-être impraticable - autre définition possible de la métaphore ? -. Toutes les paraboles ne seraient-elles pas métaphore ? "Sur un premier plan, Jésus convoque l'expérience de ses auditeurs, sur le second plan, il fait circuler son expérience de Dieu".

Les paraboles au cœur du conflit : la violence des paraboles...

Il est, au terme de ce parcours sur le fonctionnement de la parabole, une question que l'on ne peut éluder : celle de la violence des paraboles. La question en est parfois posée, on a pu entrevoir pourquoi. La parabole entraîne en effet l'interlocuteur sur un autre terrain, pourvu en général de son consentement, fût-il tacite (Simon est consentant à ce que Jésus lui demande de trancher sur le cas qu'il lui présente, David écoute attentivement et prononce avec colère contre l'homme riche...). Mais le point d'arrivée, surtout dans les situations de conflit aigu, est une situation d'inconfort complet, puisque par sa réponse l'interlocuteur s'est publiquement discrédité ou mis en défaut. Quelle attitude peut-il dès lors adopter ? Appel à la transformation ou à la conversion ? Peut-être. Mais c'est mettre les choses au mieux. L'évangile nous dit aussi qu'à un moment de conflit aigu, pharisiens et grands prêtres, " en entendant ces paraboles, comprirent bien qu'il les visait. Mais tout en cherchant à l'arrêter, il eurent peur des foules, car elles le tenaient pour un prophète "(Matthieu 21, 45-46).

Les paraboles opposent deux systèmes de valeurs, deux regards sur la réalité, deux conceptions des choses de Dieu, de la religion et peut-être de Dieu lui-même. La confrontation est vive, ses enjeux sont essentiels. La parole qui s'échange est vive. Non, la parabole n'est pas qu'une forme de parole magnifiquement poétique, même si elle est aussi cela. On mesure en lisant les évangiles combien elle peut avoir part à une forme de violence, nous l'avons évoqué avec la citation de Matthieu ci-dessus. Les paraboles s'inscrivent sur le fond de violence du conflit ouvert entre Jésus et les pharisiens, grands prêtres et scribes, les plus hautes autorités de son peuple. Comme Matthieu l'indique clairement, cette violence aura raison de Jésus aux jours de la passion, dans le procès qui lui est intenté et dans la mort à laquelle il sera mené, au mont Golgotha. Est-ce pour cette raison que Matthieu et Marc placent au milieu du chapitre des paraboles la citation d'Is 6, 9-10, sur l'endurcissement des cœurs ? Une parole paradoxale qui dit aussi l'échec de la parole de Jésus et son prix : Jésus parle au prix de sa vie. Les paraboles, si elles disent magnifiquement le Royaume et la joie du pardon de Dieu, ont parti lié avec la passion et avec la mort de Jésus. Elles sont à ce prix.

Un processus de transmission dans lequel la parabole évolue et se transforme parce qu'elle se transmet...

Les travaux de Jeremias ont marqué la recherche concernant l'histoire des paraboles, de la prédication de Jésus jusqu'à leur inscription dans les récits des évangiles tels qu'ils nous sont parvenus. Il distingue quatre facteurs qui ont marqué et commandé cette transmission des paraboles, de Jésus aux évangiles. Nous affinerons la recherche mais pouvons dans un premier temps reprendre cette typologie.
Il distingue :

1° Le transfert du contexte de communication , qui implique un double changement : ce n'est plus Jésus qui parle, mais quelqu'un raconte que Jésus a dit. De même s'est opéré un changement d'auditoire : c'est désormais la communauté chrétienne qui est devenue destinataire privilégiée des paraboles. La parabole de la brebis perdue, qui évoquait l'attention que Dieu porte aux marginaux d'Israël (Lc 15, 4 6), devient ainsi chez Matthieu un modèle de comportement à l'égard des "petits" à l'intérieur de la communauté chrétienne (Mt 18, 10 14).

2° La montée des préoccupations éthiques dans les communautés provoque un infléchissement parénétique des paraboles, c'est-à-dire leur lecture à fin d'exhortation ou d'édification. L'aventure de la parabole du gérant avisé, en Lc 16, transformée en exhortation sur la question de l'argent (16, 9 13), serait particulièrement significative de cet infléchissement.

3° L'installation de l'Église dans la durée la conduit à dissocier son temps de celui de Jésus ; elle saisit l'épaisseur de l'histoire, et cette perception nouvelle, d'une histoire qui s'étend de Pâques à la parousie (la venue du Christ dans la gloire), va imprégner le tissu des paraboles. On la voit percer dans l'histoire des talents (Mt 25, 14 30), tendue entre le départ du maître et son retour "après un long temps" (v. 19).

4° L'allégorisation, enfin. L'allégorie s'immisce dans le donné parabolique, en premier lieu pour infiltrer le scénario de l'histoire du salut et positionner le destin du Fils. La parabole des vignerons meurtriers en offrirait un exemple très clair (Mc 12, 1 9 ; Mt 21, 33-46).

Ces quatre facteurs, jouant de façon séparée ou conjuguée selon les cas, ont puissamment façonné le trésor parabolique dans les premiers siècles ; il en porte les traces, que parvient à déceler la critique littéraire : modification du scénario narratif, fusion de paraboles, adjonction de conclusions et lecture et interprétation allégoriques. On assiste ainsi à un processus de réinterprétation, qui fut même beaucoup plus large et important que ce que nous en voyons dans les évangiles, si l'on prend en considération les relectures gnostiques telles que celles de l'évangile apocryphe de Thomas.

Évolution, mais pas perte

L'histoire de cette évolution est-elle perte du message de Jésus ou non ? Il semble bien que non. L'étude le montre : la transmission des paraboles a bien reconnu l'insistance donnée par Jésus à la prédication du Royaume ; il l'annonce comme imminent ou comme déjà là, et en pose à la fois les gestes (miracles, exorcismes et guérisons) et les paroles, tout particulièrement les paraboles. Un livre célèbre de C. H. Dodd, Les paraboles du royaume de Dieu, a bien établi ce point, et les mots simples de son titre se sont, à juste titre, gravés dans les mémoires, guidant désormais la lecture des paraboles évangéliques et marquant de façon décisive leur exégèse. Et de fait, parlant des paraboles, on a spontanément à l'esprit l'introduction de la parabole du grain de moutarde dans l'évangile de Marc : "A quoi allons nous comparer le Royaume de Dieu, ou par quelle parabole allons nous le représenter ?" (Marc 4, 30). On s'est pourtant interrogé : les paraboles de Jésus étaient elles originairement paraboles "du Royaume", ou le sont elles devenues ?

En effet, des quelque 40 paraboles rapportées par les évangiles, 11 débutent par la clause introductive : "Le Royaume de Dieu est semblable à...". Et parmi ces 11, sept n'appartiennent qu'à l'évangile de Matthieu (qui les introduit à son habitude par la formule : "Le Royaume des cieux est semblable à ..."). A observation attentive, deux paraboles seulement semblent ne pouvoir se passer de cette introduction : les petites paraboles du trésor et de la perle (Matthieu 13, 44 45 s.). Peut-être faut-il leur associer deux autres paraboles dites de contraste : celle du grain de moutarde (Mc 4, 30 ; parallèle en Mt et Luc), et celle du levain (Matthieu 13, 33 ; parallèle en Luc), ainsi que celle de la semence qui pousse d'elle-même (Mc 4, 26 ; Mt semble avoir remplacé cette parabole par celle de l'ivraie dans le champ, deux variantes indépendantes l'une de l'autre, de la même intrigue). Si ce constat ou ce résultat acquis par la critique littéraire est exact, il faut alors conclure que, dans le processus de transmission des paraboles, le nombre des paraboles du Royaume s'est en fait accru, contrairement à ce que l'on a souvent affirmé, pensant que la transmission des paraboles dans la tradition les avait plutôt infléchies dans un sens parénétique (c'est-à-dire à fin d'édification ou dans le sens de l'exhortation). Pourquoi alors cette " multiplication "des paraboles du Royaume ou de leur qualification comme telle, au cours de leur transmission ? A quelle nécessité obéit cette évolution ?

L'explication est simple : dites par Jésus, les paraboles représentent véritablement l'irruption de ce Royaume ; celui qui dit les paraboles, Jésus, est véritablement présence et attestation de ce Royaume. Or, lorsque l'on transmet la parabole sans la présence de celui qui l'a dite, il faut exprimer clairement et tracer cet horizon qui était celui de la prédication de Jésus. On le signifiera dans les introductions ajoutées aux paraboles pour les rendre plus claires et compréhensibles, quand le contexte du récit ne peut suffire à le dire. Cela représente pour la parabole un risque : dite comme une histoire laissée à la compréhension de l'auditeur, elle force celui-ci à s'engager dans son interprétation, elle le met à l'oeuvre dans ce travail de compréhension. Quand cette interprétation est donnée d'entrée de jeu, l'investissement de l'auditeur est très différent : la parabole fonctionne alors comme comparaison, l'auditeur part... du point d'arrivée. Son voyage est moins long. Est-il travaillé identiquement par le récit ? Peut-être pas. C'est un autre type de communication.

On pense volontiers que dans l'histoire de la transmission, la nomination ou la désignation du Royaume au début de la parabole est une sorte de fixation littéraire de la réponse croyante de l'auditeur. Mais on observe aussi que les paraboles ainsi désignées dès leur début comme paraboles du Royaume sont, certes, des histoires marquées d'extravagance ou de démesure, comme nous l'avons vu, mais qu'elles fonctionnent en fait comme un transfert d'évidence : l'histoire racontée est simple, proche en fait de la comparaison ; c'est à l'image du grain de moutarde qu'intervient le Royaume, ou encore à l'image du travail du levain dans la pâte. La présence surprenante de Jésus, véritable mise en présence de ce Royaume pour ses auditeurs, assurait probablement d'elle-même la compréhension qu'il faut désormais guider : les paraboles donnent ainsi dès leur introduction la clé de compréhension ou d'interprétation.

On pourrait comparer le fonctionnement de ces paraboles du Royaume à celles, par exemple, du chapitre 15 de Luc, introduites par des phrases telles que "lequel d'entre vous... ?", pour dire ensuite, face au spectacle de la joie et de la fête lorsque la brebis, la drachme... le fils sont retrouvés : "combien plus y a-t-il de la joie chez votre père du ciel pour un seul pécheur qui se repent...". Dans tous les cas, la parabole captive l'auditeur car elle raconte une histoire et que d'une histoire on attend toujours la surprise qui doit jaillir, puisque quelqu'un décide de raconter cette histoire : où veut-il en venir ? L'esprit est attentif, à l'affût, captivé par le moindre détail qui puisse lui permettre d'aller au terme présupposé par l'autre puisqu'il a commencé à dire cette histoire. Mais on voit que de dire dès le commencement le terme de l'histoire crée un effet différent des moments où on laisse découvrir à l'auditeur l'histoire au fil du récit.

Dans cette histoire de la transmission des paraboles, rappelons le, les communautés de croyants qui ont transmis les paraboles tenaient à leur référence à Jésus et à ce Royaume que de façon insolite, surprenante, il annonçait. Le chemin pris par la transmission des paraboles apparaît bien comme chemin de richesse : non pas détournement, non pas perte, mais véritablement écrin de la parole et de la présence de celui qui un jour les dit de façon unique, Jésus.

Les paraboles, traces et présence de Jésus

La rédaction des évangiles témoigne de ce souci constant de relier les paraboles à Jésus. Elle le fait de différentes façons : les paraboles sont systématiquement attribuées à Jésus, et elles sont, dans le cadre du récit évangélique, intégrées à son histoire et situées dans le contexte de sa vie. La rédaction des évangiles manifeste donc le souci d'immerger la parabole dans la vie de Jésus. Mais il faut encore noter que les paraboles reflètent la pratique de Jésus, elles semblent liées à sa pratique. La parabole des invités au festin rapportée par Luc ne porte-t-elle pas la trace de ses repas avec les pécheurs (Lc 14, 1524) ? Et la parabole du serviteur impitoyable, la marque de sa pratique du pardon (Mt 18, 23 35) ? L'histoire du Samaritain (Lc 10, 2937) ou celle du pharisien et du publicain (Lc 18, 9 14) ne portent-elles pas encore la marque de son ouverture aux marginaux religieux et de sa transgression des limites de l'univers religieux défini par la religion officielle, et gardé par les grands prêtres, les scribes et les pharisiens ? Si la matière narrative des paraboles est puisée dans la culture juive, elle est souvent aussi le fruit de la libre imagination de Jésus, et elle est aussi pétrie de sa vie, de ses gestes, de ses rencontres et de ses conflits. Les paraboles nous parlent de Jésus. Peut-être inscrivent-elles dans la vie de l'auditeur lui-même la trace de sa présence ?

La trajectoire christologique des paraboles : les paraboles parlent de Jésus

Ce qui vient d'être dit peut éclairer l'histoire de la transmission des paraboles telle qu'on peut la connaître ou la reconstituer aujourd'hui. Il semble en effet possible de reconnaître les étapes de ce processus :

Le premier stade est celui de la prédication de Jésus. Il annonce la proximité de Dieu et du Royaume de Dieu. Rien ne le garantit... sinon le comportement de Jésus, où se concrétise l'offre de la grâce. Le critère de vérité de la parabole tient à l'attitude de Jésus et à ses initiatives, qui offrent comme une vérification de cette proximité de Dieu. Les paraboles l'expriment, mais la parabole, en retour, met en scène et déploie les enjeux de l'agir de Jésus et de son attitude.

Le second stade est inauguré par l'événement de Pâques et l'intense réflexion christologique qu'il entraîne. La communauté primitive est contrainte de s'interroger sur l'identité de Jésus : elle déchiffre, dans l'impuissance du Crucifié, la proximité de Dieu faite présence. La prédication de Jésus, les paraboles affirmant la proximité mystérieuse de Dieu, deviennent clé d'interprétation dans cette découverte de l'identité du Christ et dans la réflexion sur le mystère de sa mort et de sa résurrection. Plus que l'homme des paraboles, n'est-il pas véritablement "parabole de Dieu" ? La parabole alors se transforme, éclairée par la méditation et la contemplation de ce mystère. Le Christ prédicateur devient on le voit, peu à peu, le Christ prêché.

Le troisième stade est le rassemblement progressif des paraboles en collections, puis leur inscription dans l'évangile. Les conséquences pour la compréhension des paraboles sont importantes : elles sont en effet désormais comprises à la lumière du Christ crucifié et ressuscité. Celui qui parle dans ces paraboles, sur les chemins de Galilée ou de Judée, est bien ce Christ Vivant, celui qui est au coeur de la foi, celui qui sauve : présence de Dieu, il en dit le mystère. Les paraboles sont lues à partir du destin du Crucifié-Ressuscité, du Christ Sauveur.

Le quatrième stade est celui de la " christologisation "des paraboles. Elles ont été relues, nous venons de le voir, à la lumière du mystère du Christ. Cette lecture se poursuit au point même d'introduire la figure du Christ dans la parabole. Nous sommes au point ultime du chemin de réception, de compréhension et de réexpression des paraboles : Jésus, l'homme de Nazareth qui parlait en paraboles, reconnu ou éprouvé dans l'expérience des croyants comme Fils de Dieu sauveur, Christ et Seigneur, est désormais introduit dans le récit. Certaines figures, qui dans l'Ancien Testament désignaient Dieu, sont désormais utilisées pour désigner Jésus lui-même : il est le " bon berger "parti à la recherche de la brebis perdue (Lc 15, 4 6, cf. Jn 10 ; dans l'Ancien testament, Ps 22 ; Ez 34, 11), il est encore le semeur de bon grain dans la parabole de l'ivraie (Mt 13, 24 30, cf. v. 37). N'est-il pas encore l'époux qui vient, dans la parabole évoquant la parousie, la fin des temps et son retour en gloire (Mt 25, 1 13) ou le maître attendu, dans le retour de voyage de l'homme qui confie ses talents (Mt 25, 14 30, cf. 19) ?

Il est des cas où la relecture christologique s'est opérée de façon différente selon les évangiles, ainsi, dans l'invitation au festin, Luc voit-il le Christ dans le personnage du serviteur (Lc 14, 16 24), tandis que Matthieu fait de lui le fils du roi (Mt 22, 1 14). Deux développements théologiques différents, qui montrent comment le donné parabolique reçu de la tradition peut être riche pour la communauté croyante, qui le reçoit au coeur de sa foi et affirme cette foi profonde dans des mots et sous des figures différentes. Richesse de la parabole, que l'on ne peut confiner dans une interprétation : sa richesse presse et déborde, la métaphore est infinie.

Il est d'autres cas encore où le récit est entièrement remodelé, comme une allégorie de l'histoire du salut. C'est le cas par exemple de la parabole des vignerons meurtriers (Mt 21, 33-46). La nature même de la parole et sa richesse d'intrigue ou de figures multiples, avivait la curiosité et se prêtait à la lecture actualisante. L'allégorie scrute la parabole comme pour la décoder terme à terme, nous l'avons dit. La parabole avait peut-être, dans certains cas, dès le début, des traits allégoriques, qui sont amplifiés par la tradition. Mais certaines paraboles se sont transmises aussi sans aucune allégorisation.

Les traces d'allégorisation sont habituellement vues, dans l'étude des paraboles, comme un stade ultérieur, plus élaboré, dans la transmission du donné parabolique, ce qui est en général confirmé par l'étude du vocabulaire. Ainsi par exemple, Mc 4, 3-13 semble bien être un développement ultérieur de Mc 4, 1-9. Ces versets portent en effet la trace de la communauté primitive, ce qui est perceptible dans la différence de vocabulaire : le vocabulaire utilisé dans les derniers versets est absent dans les premiers versets. La Parole, dans cette lecture actualisée de la parabole, c'est l'" Évangile ", et il est fait allusion aux persécutions, et le lecteur est aussi exhorté à résister à la séduction des richesses et des convoitises. En Mt 22, 1-10, les invités tuent les serviteurs venus leur rappeler l'invitation. Cela est parfaitement invraisemblable. Lc 14, 15-24, qui offre un parallèle à cette parabole, ne comporte pas du tout un pareil élément ! On est amené à penser que la communauté primitive a interprété la parabole comme une allégorie de l'histoire du salut, dans laquelle les Juifs invités au Royaume refusent d'entendre le message des prophètes d'abord (v. 3), des missionnaires chrétiens ensuite (v. 4-6).

On pourrait se demander si la lecture croyante des paraboles n'est pas spontanément actualisante et quelque peu allégorique. Pour l'auditeur déjà convaincu, en effet, la fonction argumentative des paraboles, que nous avons pu observer dans les paragraphes précédents, s'atténue et l'attention va parfois directement, voire exclusivement, à l'actualisation déjà faite, déjà connue, disponible certes, mais déjà forgée, de la parabole. Or, la parabole est toujours un événement de parole, une provocation, une surprise pour l'auditeur. L'allégorie feutre cet effet de surprise... et peut-être de lecture : le sens est déjà connu. Ainsi, par exemple, la parabole du fils prodigue est-elle ou était-elle, jusqu'à date récente très souvent lue directement et uniquement comme l'histoire du pécheur pardonné, laissant parfois complètement de côté ce qui est dit du fils aîné dans la seconde partie de la parabole. Une telle lecture, privilégiant d'emblée une compréhension déjà actualisée ou déjà connue, et une application précise à une catégorie de personnes comme bien-sûr désignées par la parabole, fonctionne en fait comme une lecture allégorique.

Les Pères de l'Église, de même que les lecteurs du Moyen Age, excellèrent dans cette lecture allégorique ou allégorisante. Elle a nourri et porté la vie d'une multitude de croyants. Ainsi St Augustin a-t-il lu allégoriquement la parabole du "bon Samaritain". Dans cette lecture, le voyageur, c'est Adam ; les voleurs ou les brigands, ce sont les démons qui le dépouillent de son immortalité ; le prêtre et le lévite sont l'Ancien Testament, le Samaritain, c'est Jésus ; l'aubergiste, l'apôtre Paul, etc. On a pu montrer que la lecture allégorique de cette parabole (comme d'un certain nombre d'autres) présente une lecture constante, à très peu de variantes près, d'Origène (185-254 ap. J.C.) à Saint Augustin (354-430 ap. J.C.) et à Luther (1483-1546) .

L'allégorie est-elle une perte ? On pourrait le penser parfois, dans la mesure où elle semble apprivoiser ou domestiquer quelque peu le texte. Or, un récit est toujours un événement de parole saisissant un lecteur dans le jeu de signification qu'il ouvre. Elle témoigne cependant de la vitalité de la parabole, qui ne cesse d'être lue et adressée à des publics successifs, divers, nombreux, signe de la vie de la Parole. De surcroît, cette lecture allégorique repose sur une conviction théologique profonde, présente tout au long de l'histoire de la transmission des paraboles, de Jésus aux évangiles, et sur laquelle repose en fait toute l'histoire de cette transmission : les paraboles ne portent pas au langage une vérité générale, mais une vérité qui se fonde sur l'événement du Christ. L'allégorie ne fait que déployer cette conviction en direction du croyant, parce qu'elle porte la conviction que dans cette parole, il rencontre le mystère du Ressuscité. La mise en oeuvre de cette conviction, dans une lecture des paraboles centrée sur le Christ n'est-elle pas, en définitive, " la seule lecture théologiquement adéquate des paraboles, c'est à dire la seule qui reconnaisse aux paraboles le pouvoir d'événementier la proximité du Royaume d'une façon qui rend Jésus présent à cet événement ? (...) L'histoire de la parabole est la trace que se fraye la métaphore pour rester vive, alors que les temps changent, alors que le locuteur a disparu et que la parabole a pris son autonomie face à la prédication eschatologique du Maître."

Au fil de l'investigation, la parabole nous est apparue comme une parole d'une force poétique et théologique immense. Elle n'est pas propre aux évangiles, nous l'avons vu, lisant au passage l'une ou l'autre parabole provenant d'autres univers religieux. Elle est fréquente en milieu juif : la lecture ou l'évocation de nombreuses pages de l'Ancien Testament le montre. Mais la parabole rabbinique, le mashal, a la particularité d'être orienté vers la lecture et la compréhension de la Torah jusque dans ses passages les plus difficiles ou obscurs. La parabole évangélique semble tracer une figure originale au sein de cet ensemble. Elle nous parle, pour une part, du temps de Jésus, puisque, l'extravagance en moins, elle tire sa substance de ce qu'est la vie, en Judée ou en Galilée, au temps de Jésus. Elle nous parle de ce fait aussi de Jésus, comme d'un homme proche de ces réalités en même temps qu'enraciné dans le terreau culturel et religieux juif.

Mais au plus profond, la parabole est véritablement christologique : elle nous introduit dans l'extraordinaire intimité qu'entretient Jésus avec le Royaume dont il parle, c'est-à-dire avec Dieu, qu'il appelle "Père" ou, plus familièrement encore et cela ne laisse pas d'étonner "Abba", l'expression que le petit d'homme adresse avec familiarité à son père ! Nous l'avons évoquer, c'est dans le cas des expériences les plus incommunicables, que l'homme entreprend de parler par mashal, par images ou comparaisons : "c'est... ce serait... comme". C'est pour dire l'indicible de Dieu, la joie qui est en Dieu au retour du pécheur ou de l'homme perdu, le surgissement du royaume comme un printemps pour l'homme, comme une aurore, que Jésus disait des paraboles. Celles-ci en retour, nous disent cette étrange ou surprenante intimité de Jésus avec le Père, avec Dieu, et l'évangile montre que c'est bien l'intimité du fils. En ce lieu, les paraboles laissent le lecteur à son chemin radicalement personnel : elles l'ont mené au coeur de Dieu. Si l'homme alors s'y aventure, naît en lui le Royaume qui le ramène à des frères, à un monde changé, vu autrement... comme Jésus lui-même semblait le regarder ! Alors apparaît ou surgit le royaume, comme un blé qui lève, comme une moisson qui blondit attendant le moissonneur. La parabole traverse le croyant ou tout homme qui l'écoute, elle l'entraîne au delà de lui même, au delà de la parabole, vers le Christ, vers la Parole, et au coeur de Dieu.

La parabole appelle écoute. Peut-être est-ce la raison de l'appel répété des évangiles disant les paraboles : "Celui qui a des oreilles pour entendre, qu'il entende... "(Mc 4, 9). Pour dire en mots d'hommes l'indicible de Dieu, Jésus dessinait inlassablement des paraboles. Nous allons y puiser, et cette eau, qui saisit toujours par sa fraîcheur, est intarissable. Et l'eau vive de cette source est pour tous.

Il faudrait probablement conclure par une parabole. Bien connue, elle provient du trésor hassidique, de la tradition juive : "On demanda à un rabbi, dont le grand père avait été un disciple du Baal-Shem (fondateur du hassidisme), de raconter une histoire. On doit raconter une histoire, dit-il, de telle façon qu'elle soit une aide. Et il raconta : mon grand père était infirme. Un jour, on le pria de raconter une histoire de son maître. Alors il raconta comment le Baal-Shem avait l'habitude, quand il priait, de sautiller et de danser. Mon grand père était debout et racontait, et il était emporté par l'histoire, si bien qu'il dut montrer comment le maître sautillait et dansait en priant. Dès ce moment, il fut guéri. Voilà comment il faut raconter les histoires."

Histoire ou récit, et récit dans le récit, récit qui guérit. Les paraboles ne sont-elles pas précisément cela, des histoires capables d'enchanter, au sens fort, le croyant ? Si le kérygme ou la Bonne Nouvelle du Christ est éveil du Royaume et fait passer le croyant de la mort à la Vie, probablement la parabole emporte-t-elle sur ce chemin-là.