Dieu présenté comme un roi, voilà qui est très fréquent dans l'Écriture. On peut s'en étonner : l'instauration de la royauté en Israël s'est faite contre la volonté de Dieu qui, comme toujours, s'est soumis au choix des hommes (1 Samuel 8). Dans les évangiles, le thème rebondit avec les multiples mentions du Royaume, ou du Règne, de Dieu, ou des Cieux. De plus, dire que Jésus est Christ, c'est dire qu'il est roi : christ signifie oint, celui qui a reçu l'onction royale. Avec une majuscule, le Christ est ce "fils de David" que l'on attendait et qui devait venir restaurer la royauté en Israël. Pourquoi une telle insistance sur la figure royale ? C'est que le roi est celui qui dépasse tous les autres, qui a pouvoir sur tout et sur tous. Il est aussi l'agent et le symbole de l'unité du peuple.

De plus, affrontés à des nations gouvernées par des rois très puissants, les juifs se rassurent en se référant à une Puissance encore plus haute, à un Roi au-dessus de tous les rois. Comme toute métaphore, celle-ci n'est pas exempte d'ambiguïté. Si le Christ est le roi de l'univers, nous, ses disciples, sommes les agents et les courroies de transmission de son pouvoir absolu ; nous savons, par son Évangile, ce qui est bon pour les hommes et nous sommes habilités à l'imposer (quand nous le pouvons). Que voulons-nous dire exactement quand nous parlons de travailler à la venue du Royaume ?

Une royauté paradoxale

Il faudrait dire tout de suite que si le Christ est roi au-dessus de tous les "rois", sa royauté n'est pas de même nature que les autres. C'est bien pour cela qu'il dit à Pilate que son Royaume n'est pas de ce monde. Non seulement il n'en vient pas, comme traduit la version liturgique, mais il ne s'y exerce pas à la manière des autres pouvoirs. La figure royale est figure d'autorité, de puissance. Or ; on va y insister ; la puissance de Dieu s'exerce par la faiblesse. Au "démon" qui lui propose "tous les royaumes de la terre" et même la domination sur les forces de la nature, Jésus répond en citant la Loi, à laquelle il déclare se soumettre. (Luc 4, par exemple).

Ainsi, dès le départ, Jésus fait subir à la Royauté attribuée au "Fils de Dieu" un retournement total. Ne dira-t-il pas qu'être Maître et Seigneur consiste à se faire serviteur ? Comment pouvons-nous conserver l'image d'un Dieu qui télécommande tout ce qui se passe dans notre monde, qui fait la pluie et le beau temps ? Cette image, qui nous vient du fond des âges, est reprise dans l'Ancien Testament, mais c'est pour nous la faire franchir et dépasser. Ce dépassement, c'est Jésus, le maître et seigneur mourant de la mort des esclaves pour enlever le péché du monde, notre péché, celui de notre prétention et de nos volontés de domination. La Royauté du Christ ne ressemble pas aux pouvoirs de ce monde ; la paix qu'il donne n'est pas celle que le monde peut donner.

Au-dessus de toute Puissance et Domination

Paul reprend à sa manière le thème royal. Il voit Jésus placé, par sa résurrection, au dessus de toute puissance et domination. "À la droite de Dieu". Ces puissances et dominations sont célestes aussi bien que terrestres ; elles représentent tout ce qui peut nous nuire ou nous asservir. 1 Corinthiens 15, 24-27 est à cet égard caractéristique. Parlant de l'accomplissement final, Paul écrit : "Il (le Christ) remettra la royauté à Dieu le Père, après avoir détruit toute Principauté, Domination et Puissance. Car il faut qu'il règne jusqu'à ce qu'il ait placé tous ses ennemis sous ses pieds. Le dernier ennemi détruit, c'est la mort". On retrouve des formules semblables en Éphésiens 1,21 ; 2,2 ; en Colossiens 2,10, etc.

La croix du Christ est vue comme une prise de pouvoir sur tout ce qui nous est contraire, récapitulé dans la mort. Désormais rien ne peut vraiment nous nuire (Romains 8,35-39). Est-ce à dire que le Christ n'exerce aucun pouvoir sur nous ? Revenons à notre évangile : Jésus ne s'impose pas par la force (les gardes du corps sont absents et les légions d'Anges n'interviennent pas), sa puissance est attraction de la vérité. Quelle vérité ? Notre vérité d'hommes, celle qui nous humanise et qui nous déshumaniserait si elle s'imposait : la faiblesse de l'Amour désarmé.