Ces paroles de Jésus en croix, rapportées par Marc et Matthieu, semblent pour le moins étonnantes, si ce n’est choquantes. Comment celui qui s’est dit lui-même fils de Dieu peut-il ainsi, tout à coup, reprocher à son Père de s’être éloigné, de l’avoir abandonné ? Certes on peut faire remarquer que c’est un homme en proie à une douleur intense – à la fois physique et spirituelle – qui pousse un tel cri. La crucifixion est en effet un des supplices les plus «raffinés» que l’homme ait jamais inventé.

Et puis il y a l’opposition des Juifs, la fuite des disciples. Jésus a passé sa vie à offrir son amour aux hommes, à tous les hommes, en commençant par ceux qu’il s’était choisi, ses disciples, les Douze. Et les voilà tous partis, le laissant seul face à la foule versatile, aux soldats, aux autorités qui ont voulu et obtenu, contre toute logique, contre toute justice, sa mort. Comment ne pourrait-il pas être bouleversé par ce refus de l’amour offert qui va jusqu’au meurtre?

Un ultime acte d'amour

Il n’empêche, si Jésus est Dieu, comment peut-il mettre en cause le lien à son Père ? Certes, on sait bien que ces mots sont le début du Psaume 22, qui met en scène quasiment tous les détails de la passion – les vêtements partagés et tirés au sort, la soif inextinguible – et se termine par un acte de confiance en Dieu. Mais il est tout de même étrange que ce psaume ait été dit en araméen, pas en hébreu (la langue de la Bible). Un peu comme si Jésus, tout en se référant à cette source vive de la prière biblique nous disait autre chose de plus intime, de plus charnel. Après tout, sur la croix, alors qu’il est dépouillé de tout, son lien confiant à « son » Père est encore la seule chose qui le distingue de tous les humains. Ne peut-on pas penser que Jésus, pour s’approcher de nous, pour prendre notre condition d’homme jusqu’au bout, en soit venu à ressentir, pour un court moment, l’éloignement du Père ? Un peu comme si la Trinité s’ouvrait tout à coup pour laisser l’humanité s’engouffrer, à la suite de Jésus, en son sein ? Du coup ce cri est l’ultime acte d’amour de Jésus pour l’homme. Celui où, Dieu lui-même, il quitte sa condition divine pour nous entraîner à sa suite. Et il n’est pas étonnant que ce cri soit à la limite du blasphème : il renferme tous nos cris, toutes nos souffrances, toutes nos révoltes.

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