Cette fois son heure est arrivée. L'heure de passer de ce monde à son Père. Tout va s'accomplir. Et c'est au cœur de cette Passion qu'il y a cet étonnant échange entre Jésus et Pilate. Jésus vient de lui dire : "Je suis né, je suis venu dans le monde pour ceci : rendre témoignage à la vérité. Tout homme qui appartient à la vérité écoute ma voix". Pilate lui demande alors : "Qu'est-ce que la vérité ?" (Jn 18,38). Et Jésus ne répond pas. Pourquoi ne répond-il pas ? Sans doute parce qu'il n'a pas besoin de parler, celui qui est le Verbe. Par tout son être d'homme condamné, il est lui-même la réponse. La vérité de l'homme, Pilate l'a sous les yeux. Elle n'est pas euphorique. On ne peut pas toujours s'en tirer avec des mots et des discours. À ce moment précis, Jésus nous révèle lui-même ce qu'est la vérité de nos vies. J'aime bien penser devant certains portraits du Christ meurtri, peints par Rouault, ou par d'autres, que ces peintures sont des miroirs. Pilate ne croyait pas si bien dire en présentant au peuple un Jésus flagellé et couronné d'épines : "Voici l'homme !" La vérité de l'homme est bien là.

Amour et vérité

En Europe, nous sommes assez sensibles à l'apparence, au "look" extérieur. C'est une culture finalement assez épidermique. Apparemment, il faut rester jeune ou paraître jeune. Mais c'est une sorte de mécanisme qui cultive le mensonge. Parce que ce n'est pas la vérité vraie de nos vies. Jésus, vrai chemin qui nous conduit à la vie, a vraiment pris sur lui toutes nos finitudes. Un jour, tous nous mourrons. Et nous mourrons seul. Il est descendu en ce très bas. Il est vraiment entré dans le silence de la mort. Au creux de nos ombres et de nos solitudes. Il n'a pas fait semblant. Il nous a rejoints au creux de nos "pourquoi ?" Parce qu'il y a bien un moment où l'on ne peut plus rien dire. Où l'on ne comprend pas. Où l'on est confronté, non pas au problème du mal, parce que si c'était un problème on pourrait le résoudre, mais au mystère du mal, et l'on ne peut que crier : Mon Dieu, pourquoi ? Le samedi saint, nous entrons dans ce grand silence. Silence du Christ mort. Silence devant tous les innocents qui meurent. Silence de Marie, de Madeleine et de saint Jean. Incompréhension totale. Aucun consolateur possible. Qui n'a pas vécu ces silences-là ?

Ce qui peut provoquer notre adhésion en regardant la croix de Jésus, c'est que nous reconnaissons que le chemin qu'il a pris est celui d'un amour vrai parce que fidèle. Il nous a aimés jusqu'au bout. On ne peut vivre sans amour. Sans amour, on n'est rien du tout. Toutes les chansons, tous les livres, tous les films n'expriment que cela. L'amour est plus que la vie ou la mort, puisque l'on donne sa vie par amour. C'est pour cette raison que, si l'on est vrai, si l'on appartient à la vérité, l'on reconnaît tout de suite celui qui est l'amour : "Tout homme qui appartient à la vérité écoute ma voix". C'est si bien exprimé dans l'allégorie du bon pasteur : "Quand il conduit dehors toutes ses brebis, il marche à leur tête, et elles le suivent, car elles connaissent sa voix". (Jn 10,4). Nous reconnaissons cette voix silencieuse de l'amour et nous sommes prêts à suivre ce pasteur crucifié. C'est un beau résumé de toute la mission du Christ : Il marche à leur tête, "premier-né d'une multitude de frères". Le vrai berger l'a exprimé d'une autre façon : "Quand j'aurai été élevé de terre, j'attirerai à moi tous les hommes" (Jn 12,32). Seul l'amour est digne de foi.

Le salut par la Croix

Ce n'est pas la souffrance du Christ qui nous a sauvés, c'est l'amour dont la croix a été le signe. "Il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux que l'on aime." Vénérant la croix du Christ, nous adorons son amour. Nous l'affirmons avec justesse au cœur de l'une des prières eucharistiques, au moment même où nous célébrons sa mort et sa résurrection, lorsque le célébrant dit : "en faisant mémoire de sa passion qui nous sauve". Cette passion n'est pas simplement l'instant même de la crucifixion, mais c'est toute sa vie passionnée d'amour. L'heure du Christ, dans l'évangile de Jean, récapitule et accomplit toute sa mission d'envoyé du Père. Sur la croix, Jésus remet son Souffle à la Terre et de son côté transpercé surgissent l'eau et le sang qui vont nourrir l'Église. Ne craignons pas en ce jour de regarder nos croix. Celles que nous portons sur nous, celles qui sont sur nos murs ou à la croisée des routes et plus encore celles que nous portons en nos cœurs.

C'est dans la lumière de cette croix du Christ que nous trouverons des chemins d'espérance : "En toi est la source de vie ; par ta lumière nous voyons la lumière". (Ps 35,10). L'Église d'aujourd'hui vit de profonds changements. Il arrive que certains cherchent à savoir si c'est bien encore l'Église de notre Seigneur. Il me semble que les critères de discernement sont assez simples, même si leur application peut être exigeante. J'en vois deux qui me paraissent essentiels : sa capacité d'adoration et sa présence effective auprès des plus petits. Comme Jésus nous l'a appris, nous ne devons jamais dissocier l'un de l'autre. C'est le chemin que lui-même a pris. Ce sera toujours un chemin de croix : "Si quelqu'un veut marcher derrière moi, qu'il renonce à lui-même, qu'il prenne sa croix, et qu'il me suive". (Mc 8,34). En ce vendredi saint, au pied de la croix de Jésus, nous nous recueillons dans le silence. Nous rejoignons tous les innocents qui meurent à travers le monde. Ils sont peut-être tout près de chez nous. Nous n'avons rien à dire. À être là, simplement, dans la prière. Le Christ n'est pas venu expliquer la souffrance. Il est venu lui donner sens en la prenant sur lui toute entière. Si seulement cela pouvait faire jaillir de nos cœurs et de nos mains un immense torrent de tendresse ! Dieu sait que notre monde en a bien besoin.

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