Voici le jour où la pauvreté s'abat sur l'humanité dans le visage humilié du serviteur souffrant : "Nous étions tous errants comme des brebis, chacun suivait son propre chemin. Mais le Seigneur a fait retomber sur lui nos fautes à nous tous. Maltraité, il s'humilie, il n'ouvre pas la bouche ; comme un agneau conduit à l'abattoir, comme une brebis muette devant les tondeurs, il n'ouvre pas la bouche". (Isaïe 53, 6-7) Isaïe dessine ici deux fois l'immensité du malheur : "dans le corps laineux de l'agneau sacrifié et dans le deuil de l'amour, de la beauté et de la bonté qui défigurent le serviteur. Toute promesse divine est retournée, broyée dans ce passage vers les ténèbres. Et nous mourons deux fois, avec le Christ dans la main des tondeurs et avec nos prochains oubliés dans la nuit de leur malheur".

Au pied de la croix

Toute l'humanité souffrante se rassemble là, dans ce déni de l'être et de sa nature divine que réfléchissent aussi les trois dénégations de Pierre : "Non je n'en suis pas" (Jean 18, 17) ainsi que nos reniements qui vont et viennent comme des migrations de printemps et d'hiver au gré de notre inconstance, de nos joies et de nos épreuves. Alors nous restons inachevés au pied de la croix comme des enfants mal poussés au cœur de ce Vendredi saint. Et Celui qui vient à nous nous emporte dans ses membres endoloris, assailli par cette soif inextinguible de l'abandon et de la peur que rien ne peut consoler.

Et en se donnant tout entier, il est le tout du don "se laissant être le froment de Dieu", "moulu par la dent des bêtes pour être un pur pain", "recevant la pure lumière" comme l'évoquait Ignace d'Antioche dans sa lettre aux Églises de Rome sur le chemin de son martyre (Sources Chrétiennes, 1975, p. 47 et 48). Et dans les gestes des hommes qui accompagnent les derniers moments du Christ sur la croix, quelque chose d'imperceptible se dessine sous l'endurcissement des cœurs et l'exiguïté des intelligences, le désenchantement de l'espoir et l'absolue nudité de la nuit du meurtre de Dieu par laquelle il faudra passer pour entrer dans le temps de l'accomplissement.

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