Marguerite Hoppenot, fondatrice du mouvement Sève (1) commente le récit de la Visitation par l'évangéliste Luc (Lc 1,39-56). Ces lignes sont extraites du livre de Marguerite Ph. Hoppenot, "Cette vie qui m'est donnée"; éd. Anne Sigier.


"Vint un jour où, apprenant que sa cousine Elisabeth est également enceinte, Marie part lui rendre visite. Marie parvient à sa demeure et, dans la joie d'une rencontre toute éclairée par leur mutuel amour, un événement se produit entre les deux cousines, événement invisible à tout regard humain et cependant d'une immense portée spirituelle. A l'approche de Marie, la vie du futur enfant d'Elisabeth se met à tressaillir en son sein.(...)

Révélation de la grâce à Elisabeth

Ainsi la divine présence dont Marie est porteuse a non seulement réveillé la vie en sa cousine Elisabeth, mais aussi éveillé en elle une perception surnaturelle puisque, à l'instant même, elle est inondée de la lumière de l'Esprit. Elle reconnaît d'emblée la grâce dont elle elle vient d'être l'objet, la mystérieuse Visitation de son Seigneur. Loin de s'enorgueillir, de s'attribuer quelque mérite et d'en tirer gloire, Elisabeth s'émerveille humblement, laissant aussitôt jaillir en son coeur louange et adoration.(...)

Confirmation de l'Annonciation pour Marie

Il est à l'intime du coeur de Marie, un évènement sans doute plus capital encore, puisque la révélation de la Visitation dont elle vient d'être l'instrument, lui apporte la confirmation absolue de son Annonciation. La Visitation apparaît en quelque sorte comme le vivant prolongement du dialogue avec l'ange. (...) La voix ne l'a pas trompée ! Sans doute le Seigneur ne voulait-il pas laisser plus longtemps Marie dans la seule vue de foi de son Annonciation, livrée à quelque incertitude.(...)

Une signification universelle

Par delà le double message apporté à Elisabeth et à Marie, cette Visitation est porteuse d'une signification universelle. Elle rappelle à toutes les Elisabeth du monde une exigence sacrée envers les êtres par lesquels elles reçurent la visite de l'Esprit : celle de la "reconnaissance", qui n'est pas seulement un merci, mais l'attestation du don reçu devant celui qui en fut le messager.

"Re-connaître", c'est ainsi connaître deux fois : connaître soi-même et faire connaître à l'autre, partager avec lui la connaissance de la grâce reçue.Si par fausse humilité, fausse pudeur ou fausse discrétion, ou encore par crainte d'offenser l'humilité de Marie, Elisabeth avait conservé pour elle son émerveillement, Marie n'aurait pas reçu la confirmation de la paternité surnaturelle que Dieu avait confiée pour elle à la fidélité d'Elisabeth. Une conception erronée de l'humilité et la vigilance extrême que nous portons à ne pas susciter l'orgueil des autres nous écartent souvent, hélas! de la transparence et faussent alors le jeu de la solidarité humaine, derrière laquelle nous percevons pourtant, si nous sommes attentifs, la merveilleuse sollicitude de Dieu(...)

Gardons-nous d'oublier cette exigence méconnue de ne jamais arrêter le courant de vie divine en lequel, à la suite de Marie et d'Elisabeth, nous sommes compromis et donc nous sommes responsables.(...)

Porteurs d'une grâce de confirmation

Pourquoi, en effet, le bénéficiaire d'une grâce apportée par un frère, douloureusement parfois, arrêterait-il à lui le courant qui la portait ? Ce serait priver ce frère d'une grâce de confirmation dont il avait peut-être secrètement besoin pour fortifier son courrage et nourrir sa foi. Puisqu'elle est essentiellement échange, l'économie divine est ainsi établie sur la réciprocité. Elle ne s'inscrit pas dans les coeurs parcimoniaux. Pourquoi serait-elle moins exigeante de la reconnaissance de l'Amour que de la gratuité de l'Amour? Ainsi s'écoule le courant de Vie divine à travers les solidarités réciproques suscitées par les deux expressions d'un seul Amour.

Portée par l'infinie douceur de ces deux coeurs de femme, la Visitation rassure notre fragilité et répète inlassablement au secret de nos vies que ce mystère s'adresse à nous et nous convie.


(1) Le Mouvement Sève est un mouvement laïc qui propose un chemin de vie spirituelle fondé sur l'Evangile. Il fut créé par Marguerite Ph. Hoppenot en 1938, à l'appel du Cardinal Verdier, alors archevêque de Paris.